Titre original :
It Can’t happen here, 1935
Pourquoi aller dénicher ce pas très bon
roman de Sinclair Lewis qui date de 1935 ? Pourquoi de surcroît reprendre
la traduction de Raymond Queneau qui malgré la notoriété de son traducteur,
sonne souvent faux ? Bref y avait-il urgence à re-publier ce roman ?
Oui sans doute, parce
que lu aujourd’hui ce roman semble par bien des aspects un décalque de ce qui
se passe en ce moment même aux Etats-Unis : un homme sorti de nulle part,
un populiste capable de raconter à peu près n’importe quoi pour gagner des
votes, remporte les élections et devient, contre toute attente Président des
Etats-Unis. Une fois au pouvoir il s’empresse d’instaurer un régime qualifié de
fasciste par l’auteur, nomme ses proches à des postes de responsabilité parce
qu’à défaut d’avoir des compétences ils seront à ses bottes et s’entoure d’une
milice dont les exactions n’ont rien à envier à celles de la gestapo ou à
celles des gardes rouges de Mao.
Toute ressemblance avec un personnage réel du présent est
bien entendu involontaire de la part de
Lewis, qui s’est pourtant vaguement inspiré d’un personnage historique de
sinistre réputation, Huey Pierce Long, gouverneur de Louisiane, qui avait
l’intention de se porter candidat aux élections présidentielles de 1936 quand
il a été assassiné.
Bien que fortuites, les ressemblances entre le contexte
politique du roman et la situation actuelle, aux Etats-Unis aussi bien que dans
d’autres pays, européens ou plus lointains, expliquent que le livre ait été
tiré de l’oubli où il avait sombré. Il se lit donc avec intérêt, malgré ses
longueurs, ses détours, ses extravagances.
Il m’a cependant laissée perplexe. Il s’agit bien sûr d’un roman, pas d’un essai
politique et Lewis ne s’attarde pas à expliquer les mécanismes qui ont permis à
Windrip de gagner les élections. Il se préoccupe en revanche de montrer les
effets pernicieux d’un système régi par le bon vouloir de quelques uns :
limogeages aussi injustifiés que les nominations, intimidations, recours à la
violence (emprisonnements arbitraires, tortures, parodies de procès,
exécutions…la panoplie habituelle des régimes autoritaires !) . Il s’agit
de faire peur, de montrer la bête immonde et l’auteur y parvient assez bien.
Mais il parvient mieux encore à montrer l’apathie,
l’indifférence de ceux qui d’une façon ou d’une autre s’accommodent de la
situation alors même qu’ils la refusent intellectuellement. Doremus Jessup,
rédacteur en chef du Daily Informer, le journal de la petite ville du Vermont
où est situé le roman - « C’était
une ville doucettement sommeillante, une ville tranquille et traditionaliste où
l’on croyait encore aux fêtes nationales […]. » - s’inquiète, mais
n’entre que très tardivement en résistance parce qu’il se laisse distraire par
la vue de ces « collines du Vermont
qui avaient servi de cadre à la majeure partie de sa vie. » Les
habitudes, le confort, les traditions sont autant d’œillères qui empêchent de
voir que la démocratie peut être menacée. A l’affirmation faussement rassurante
du titre It Can’t Happen Here j’aurais
préféré une interrogation ?
Impossible ici ?
L’auteur de Main
Street excelle à décrire l’Amérique des petites villes, des petites gens des petits esprits. Il n’a
cessé de dénoncer le conformisme, l’étroitesse d’esprit, la médiocrité de ses
concitoyens qu’il pourfend de ses sarcasmes et accable de son mépris. On ne peut lui reprocher de détester les
égoïsmes, les compromissions, les ventres mous . Mais ses personnages sont
des fantoches construits pour servir sa démonstration. La cause est certainement juste et mérite d’être
défendue, mais la littérature en pâtit un peu.