28 avril 2020

Seuls sont les indomptés


Ce western, impossible de l'oublier, impossible de s'en lasser ! A voir et à revoir pour mieux graver dans sa mémoire chacune de ses séquences, chacun de ses personnages.

Cela commence par un cow-boy, cow-boy depuis la pointe de ses boots jusqu'au Stetson, allongé sous la voûte étoilée - non,  pas étoilée, mais, et c'est la première clef, striée par le sillage des avions. Un cheval nommé Whisky aussi rétif que son cavalier à toute forme d'obédience. Des barbelés que l'on coupe parce qu'ils entravent le chemin. Et puis la première traversée chaotique de la route, dont la caméra souligne la difficulté, le danger lorsque le cheval et le cavalier se retrouvent entre deux files de voitures et de camions.... Dès la première séquence, tout est dit ou presque. Car ce qui suit c'est l'amitié indéfectible de Jack pour son ami Paul, condamné à deux ans de prison pour avoir aidé des migrants. Oui, déjà.
 Comment Jack se fait volontairement emprisonné pour rejoindre son ami, et l'aider à s'enfuir, comment il se retrouve seul à s'évader, poursuivi jusque dans la montagne par toutes les forces de l'ordre, montre le glissement du western vers le polar. Dans cette invraisemblable course poursuite, le cheval et son cavalier doivent affronter les dangers du terrain autant que les moyens technologiques mis à la disposition de la police.


Tourné en noir et blanc, Seuls sont les indomptés s'achève sous des trombes d'eau et dans l'obscurité de la nuit à peine trouée par les phares des voitures... 
Kirk Douglas, Gena Rowlands marquent le film de leur empreinte, mais les personnages secondaires sont tous parfaitement bien campés, y compris le flic mâcheur de chewing-gum, partagé entre les obligations de sa fonction et son admiration pour le courage et la hardiesse du fugitif. Il y a dans le regard de cet homme blasé, comme la nostalgie d'un temps qu'il sait voué à disparaître. Il est, comme le spectateur, le témoin impuissant d'un changement d'époque. The times they are-a changin' chantera Bob Dylan deux ans plus tard.

Tourné par David Miller en 62, le scénario mis au point par Donald Trumbo (Johnny got his gun) est une adaptation du roman éponyme d'Edward Abbey, grand pourfendeur de la société de consommation qu'il accuse de détruire la nature. Son livre date de 1956.
La fin des années 50, le début des années 60 ... un moment charnière dans l'histoire des Etats-Unis ? Celui où la société a commencé d'oublier les principes sur lesquelles elle était fondée ? La liberté, les droits de l'individu avant ceux de la collectivité, le refus de l'intervention de l'Etat ? C'est vrai que l'Amérique - et le monde à sa suite - s'est jetée tête baissée vers l'accumulation des biens de consommation, mais ne voit-on pas, sporadiquement, ressurgir ses vieux principes auxquels certains croient encore, avec pour conséquence des manifestations où les armes à la main certains réclament de s'affranchir des règles et des lois.

Je trouve pour ma part intéressant qu'un western,  genre populaire s'il en est, permette de réfléchir à la responsabilité de l'individu et j'aurais voulu pouvoir transcrire ici le dialogue entre Jack et son ami lorsqu'il s'agit de choisir entre la liberté à tout prix ou l'acceptation de ses devoirs. Mais passer de Seuls sont les Indomptés au Discours de la servitude volontaire, écrit par un La Boétie encore adolescent serait alourdir inutilement le film.  Pourtant ...

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