Je viens d'en terminer la lecture et m'interroge sur l'engouement du public français pour le roman de Stephen Markley, Ohio.
Certes la construction du roman est habile bien que compliquée puisqu'il s'agit de suivre successivement quatre personnages différents qui, par hasard, convergent au même moment vers le même lieu et vont se croiser à un moment ou à un autre. Si l'on ajoute que l'intrigue est fournie par le passé commun des personnages, élèves du même lycée 10 ans plus tôt, on se dit que l'auteur n'ignore rien des règles de la tragédie classiques formulées par Boileau ! Mais qu'il a su également répondre aux exigences de la littérature d'aujourd'hui qui veut que l'intrigue soit fractionnée, contraignant ainsi le lecteur à suivre attentivement les fils qui relient les personnages entre eux, mais aussi les fils qui relient le présent de chaque personnage à son passé. Beau travail littéraire que je ne conteste pas.
Ce qui me gène en revanche, c'est que les personnages du roman de Stephen Markley - pour lesquels il est bien difficile d'éprouver la moindre empathie - sont supposés être représentatifs de la société américaine aux yeux des lecteurs français. Ce qui n'est pas totalement faux, à condition de se souvenir qu'il s'agit non pas de toute une génération, mais de quelques individus, nés dans une petite ville qui offre bien peu de ressources; l'univers de ces adolescents ne tourne qu'autour de l'alcool, de la drogue et du sexe. On pense forcément au film de Larry Clark, Kids, censé représenter la jeunesse new-yorkaise des années 90, comme ses photos d'adolescents de Tulsa représentaient la jeunesse des années 70. L'erreur est de toujours généraliser et de vouloir expliquer toute une société par le comportement d'un petit nombre d'individus. Ce qui n'est apparemment pas l'intention de l'auteur, mais c'est ce que certains lecteurs retiendront de son roman.
J'ai pour ma part été frappée par l'importance que les années lycées occupent dans la psychée des personnages, qui 10 ans après, restent bloqués sur les événéments de leur adolescence, un adolescence particulièrement trash il est vrai. Il y a là une forme de déterminisme, qui les empêche d'évoluer, de devenir adultes. Un peu comme s'ils souffraient d'un syndrome post-traumatique, ce qui est effectivement le cas de l'un d'entre eux, Dan qui a servi pendant 3 missions successives en Irak et reste hanté par les souvenirs de ce qu'il a vécu. L'adolescence, aussi traumatisante que la guerre ?
Iohio est un roman un peu trop "trash" pour être plaisant à lire, mais il fait réfléchir sur la place que la violence et le sexe occupent désormais dans la société. Et pas seulement dans la société américaine !
https://www.en-attendant-nadeau.fr/2020/10/10/entretien-avec-stephen-markley/
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