Le visage de pierre a été écrit en 1963. Soit un an avant la publication du Civil Rights Act qui mettait fin officiellement à la ségrégation. Mais à cette date, il y avait déjà longtemps que William Gardner Smith avait quitté les E-U pour rejoindre à Paris les écrivains américains noirs, fatigués du racisme : Wright, Baldwin, Himes etc... Quelle que soit leur nationalité ou leur couleur de peau les intellectuels expatriés des années 50 formaient une "colonie" plutôt dynamique, trop contents qu'ils étaient d'échapper aux préjugés de leur propre pays. C'est en tout cas sur ce ton que commence le récit de William Gardner Smith : sa vie est faite de rencontres; on retrouve les même personnes, dans les mêmes cafés pour discuter éternellement d'art ou de politique.... la vie de bohême au Quartier latin ! Les difficultés financières sont largement compensées par le sentiment de sécurité, l'impression d'être enfin à sa place parce que les Français, contrairement aux Américains, ne sont pas racistes..
Oui mais...la perception que William Gardner Smith avait de la France change quand il rencontre des immigrés Algériens avec qui il sympathise et constate alors que la plupart des Français les regardent d'un mauvais oeil. On est en pleine guerre d'Algérie : là-bas, les "événements" sont de plus en plus violents et à Paris la suspicion vis à vis des Algériens de plus en plus grande. Jusqu'à la grande manifestation du 17 octobre 1961 qui tourne au massacre.
Le visage de pierre, celui qui obsède l'écrivain, c'est celui de la haine, telle qu'il l'a perçue aux Etats-Unis, quand les premiers lycéens noirs ont intégré un lycée de Little Rock, telle qu'il l'a vécue lui-même dans sa chair (il a été agressé et a perdu la vision d'un oeil), telle qu'il la constate encore et encore dans le pays où il a cru trouver refuge.
Le livre de William Gardner Smith, qui tient plus du récit que du roman, est sans doute un des premiers à mentionner la façon dont les Algériens ont été traités et le massacre de 1961. Bien avant Elise ou la vraie vie de Claire Etcherelli (1967), bien avant Meurtres pour mémoire de Didier Daenincks (1983). Il n'a été traduit par Brice Mathieussent et publié en France qu'en 2021. Faut-il se demander pourquoi ?....
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