D'un lieu à un autre, les expositions parfois se répondent. Après Mary Ellen Mark et Christina de Middel, le travail de Stephen Dock permet de prolonger la réflexion entamée sur l'objet photographique vu a priori comme un outil chargé de transmettre la réalité ou un objet à visée artistique dont le rapport à la réalité n'est pas essentiel. Sachant qu'entre les deux extrêmes, il existe forcément toutes sortes de nuances.
Jeune photographe qui a fait ses premiers pas au début de la guerre en Syrie, Stephen Dock a repris 10 ans plus tard ses clichés pour - dit le catalogue des rencontres - déconstruire un registre photographique et proposer une image générique de la guerre moderne. C'est à dire, manipuler, triturer la matière photographique pour progressivement le rendre méconnaissable et parvenir à ce que le sujet devienne quasi impossible à identifier. L'aspect documentaire de la photo est effacé, la part de réalité qu'elle avait enregistrée a été transformée jusqu'à ne plus constituer qu'une surface grisée où l'on ne distingue plus que des ombres, des silhouettes floues ... une sorte de pointillisme en noir et blanc, un brouillard qui altère la vision ...
En fin de compte, la photo n'est plus qu' un amas de pixels dont la couleur seule peut signifier le sang. Peut-être. Extrapolation sans doute inutile puisque, l'image est passée de la figuration à l'abstraction. L'intention artistique a fini par gommer la réalité.
Reprenant le thème de la finitude humaine que Ronsard avait illustré avec une rose, Baudelaire avait choisi une ... charogne en putréfaction, proclamant ainsi que la beauté d'un poème ne dépend pas de son objet, que la beauté n'est pas dans l'objet lui-même, mais dans le regard que l'artiste pose sur cet objet. Ainsi le regard que Stephen Dock pose sur un campement de réfugié; pas de manipulation numérique sur la photo mais un cadrage qui souligne les ombres, le fondu des couleurs, les lignes ... Est-ce que cela suffit pour donner du sens à la photo (si tant est que la photo est besoin d'avoir un sens). Et en fin de compte, la beauté de la photo masque-t-elle la réalité ou souligne-t-elle au contraire la misère de ce campement.
Reste la question que je ne peux m'empêcher de poser : quelle est la légitimité de ces photos , une fois accrochée sur les murs d'une galerie, si elles ne servent plus à dénoncer "toute la misère du monde" ? Si au lieu de susciter la compassion, elles ne servent plus qu'à amplifier ... la notoriété du photographe.
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