David Joy, comme Ron Rash sont des écrivains de terroir. Ils ont grandi dans la même région de Caroline du Nord, au pied des Appalaches, un territoire qu'ils n'ont pas quitté, auquel ils sont attachés et dont ils parlent bien. Ce n'est certainement pas la région la plus riante ni la plus séduisante des Etats-Unis, parce que c'est une région qui n'a jamais été particulièrement prospère et qui, dans les dernières décennies, a souffert de la fermeture des mines. Les médias traitent les habitants de cette région de "hillbillies" autant dire de péquenots auxquels on accorde bien peu de considération. Sans prétendre faire oeuvre de réhabilitation, David Joy et Ron Rash s'efforcent dans leurs romans d'expliquer et de faire comprendre ce que c'est que de vivre si loin du grand rêve américain. Ils ne sont ni sociologues, ni anthropologues, juste des écrivains avec un bon sens du romanesque.
Ainsi le dernier roman de David Joy s'empare d'un sujet qui fait trop souvent l'actualité des médias : le racisme dans une petite ville. Toya Gardner est une jeune fille venue passer l'été chez sa grand-mère avec l'intention de poursuivre un projet artistique conçu à partir de l'enracinement de sa famille dans la région. Ce qui lui fait découvrir le passé esclavagiste de la petite ville. Mais profaner une statue, même par un geste artistique, n'est pas un geste anodin et Toya déclenche la colère des habitants et des membres du Ku Klux Klan, toujours actif dans cette région de Caroline du Nord. Comme son titre l'indique, le roman de David Joy passe constamment d'un côté à l'autre, du côté des suprématistes blancs ulcérés que l'on touche à leurs valeurs fondées sur le respect de l'Histoire et des traditions, et du côté des activistes noirs ou blancs qui n'admettent plus que l'on exhibe encore et toujours les symboles de ce passé raciste sans tenir compte de l'évolution des lois. L'écrivain compose avec cette binarité en incluant des figures intermédiaires, en creusant l'histoire personnelle des personnages, souvent plus importante qu'une quelconque idéologie pour expliquer leurs comportements. Sans cesse sur le fil du rasoir, parce qu'il risque à tout moment de tomber dans le roman à thèse, David Joy joue de la nuance, évite le piège du manichéisme - qui peut prétendre en effet que le monde n'a que deux visages, l'un blanc et l'autre noir - tout en maintenant la tension jusqu'au jusqu'au renversement final.
Les Deux visages du monde est un livre à lire l'esprit ouvert et sans préjugé. Son sujet est terriblement d'actualité, et servi par une qualité narrative indéniable.
En complément éventuel : https://www.pbs.org/wgbh/americanexperience/features/klansville-faq/
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