11 décembre 2009
Jeunesse japonaise
Où que l'on aille, quoi que l'on fasse au Japon, on ne cesse de croiser des groupes d'écoliers, de collégiens ou de lycéens en uniforme.
Dans les musées, dans les jardins ils sont en général cornaqués par leurs professeurs, mais on les croise aussi bien dans les trains, les bus, le métro ... tôt le matin, tard le soir, en semaine ou le week-end, toujours en uniforme ! A croire qu'ils sont en permanence entre deux cours, deux entraînements, deux établissements.
Mais qui sait, c'est peut-être la sage écolière en jupe plissée croisée hier à Akasaka que l'on retrouve aujourd'hui, dans un game center de Ueno, soubrette en jupe courte sur de longs bas noirs, fantasme érotique pour vieux messieurs. De l'enfance elle a pourtant gardé son nounours rose et comme une petite fille qu'elle est encore, elle rêve devant ... une vitrine de peluches.
Demain sans doute, cheveux relevés en chignon, la taille serrée dans un obi, c'est en kimono qu'elle sortira avec ses amies, sans rien oublier des accessoires, qui complètent la tenue.
Quel est, au fond, le vrai visage de l'adolescente japonaise ? Comment être soi-même quand on est toujours costumée, toujours en représentation, en exhibition.
Beaucoup de choses ont été écrites sur la jeunesse japonaise, sur le principe de la double école et la compétition féroce pour accéder aux meilleurs lycées qui donneront accès aux meilleures universités. Beaucoup de choses aussi ont été écrites sur les codes vestimentaires, le goût des déguisements, les cosplays, la fuite dans les mondes virtuels. Beaucoup de choses enfin ont été écrites sur la prostitution juvénile au Japon, aussi bien dans les médias que dans les romans. Ainsi, dans Miso Soup, de Ryu Murakami, les personnages mènent effectivement des vies très glauques dans des endroits sordides. Ryu Murakami il est vrai, comme Mishima en son temps, joue volontiers le prophète de la décadence; ses romans sont sans doute un reflet de la réalité, mais un reflet déformé.
Je n'ai pas fréquenté, les bars glauques de Tokyo, ni même les quartiers les plus craignos, mais pendant trois semaines, je n'ai cessé de m'interroger; en vain puisque je suis revenue plus perplexe encore qu'à mon départ.
Jouer à être un ou une autre, jouer avec tous les possibles, n'est-ce pas simplement faire l'essai de soi-même ? Au risque de se perdre ? "Je est un autre" écrivait Rimbaud. Et toute jeunesse est rimbaldienne. Sans doute ! Mais "l'habit ne fait pas le moine". Extravagances, excentricités ne sont peut-être qu'un moyen d'échapper - en apparence seulement et très provisoirement - au conformisme ambiant. Avant de rentrer dans le rang. Car entre l'uniforme du lycéen - blazer et cravate - et celui du "salary man" - costume et cravate - il n'y a guère de différence. La plupart des Japonais ne quitteront l'un que pour endosser l'autre, s'ils ont la chance bien sûr de trouver du travail !
J'avoue que la vision des flots de "salary men" se déversant aux heures de pointe dans les couloirs du métro, tous en costume/cravate, tous au même pas, tous avec un sac en bandoulière, m'a rappelé certains passages de Metropolis ! Comment faire pour ne pas se laisser emporter par le courant ? Rester sur les bords, rester en marge. se cramponner au bord de la falaise comme le petit lemming d'Alan Arkin qui seul au milieu de ses congénères, se pose la question du sens de la course à la mer, du sens de la vie.
J'hypothèse, je spécule, j'extrapole, mais en fait je ne sais rien. Si ce n'est que je ne possède pas les clefs qui me permettraient de comprendre. Après tout, une tenue extravagante, provocante, ne l'est peut-être que pour moi. Mini short bordé de fourrure et jambes nues sur cuissardes à talon aiguille ? So what ?
PS. Moi un Lemming est un livre d'Alan Arkin publié chez Castor Poche, autant dire un livre d'enfant mais un grand livre (à la portée de tout adulte !). Bubber est un lemming qui voit les siens se préparer au "grand voyage vers la mer", une tradition inscrite dans leurs gènes. Plus le départ approche, plus l'excitation gagne la colonie de petits rats. Bubber est le seul à s'interroger sur le sens de cette grande migration, et surtout le seul à se demander si les lemmings savent nager. Car si tel n'est pas le cas, à quoi bon se jeter dans la mer du haut de la falaise ? Et comment résister à la frénésie ambiante ? Comment ne pas se laisser emporter par la foule ? Mine de rien, ce "petit" livre pose toutes les bonnes questions, métaphysiques et politiques !
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