25 janvier 2021

Judith Perrignon, Là où nous dansions

Le roman de Judith Perrignon a toutes les qualités et les défauts d'un roman de journaliste et c'est un bon roman.

Parmi les qualités il y a l'ampleur de la documentation ou plutôt la capacité de l'auteur à glisser un maximum d'informations dans un récit, à restituer des pans entiers de l'histoire industrielle, sociale, politique de l'Amérique sans jamais ennuyer son lecteur. Parce que Là où nous dansions, bien que construit autour d'une intrigue policière - le cadavre d'un jeune homme découvert au pied d'un immeuble abandonné et dont un flic de la police scientifique s'acharne à retrouver l'identité - n'est pas à proprement parler un roman policier, c'est le roman d'une ville. D'une ville à la foi terrifiante et fascinante, d'une ville en pleine mutation et ce depuis le début du XXe siècle : Detroit, qu'une simple rivière sépare du Canada et qui a, pour cette raison, souvent permis aux esclaves fugitif d'échapper à leurs poursuivants.

Mais la ville dont parle Judith Perrignon, ce n'est pas celle de l'esclavage, c'est la capitale de l'industrie automobile,  qui a connu son heure de gloire et d'opulence au début du XXe siècle, et dont le déclin n'a cessé de se poursuivre depuis les années 30 jusqu'à ce que, en 2013 la ville soit déclarée en faillite ! Une ville dont les habitant, en majorité Noirs, ont été abandonnés.

Des centaines d'articles, des dizaines de livres ont déjà été publiés sur le sujet, mais Là où nous dansions est un roman, ce qui permet à l'auteur de passer d'une époque à une autre sans nécessairement suivre la ligne chronologique, de glisser d'une saison à l'autre pour mieux marquer l'écoulement du temps. Et surtout, le choix d'une forme romanesque permet de faire vivre des personnages pour lesquels le lecteur éprouvera de l'empathie. Certains de ces personnages ont réellement existé - Eleanor Roosevelt, les Supremes ... d'autres sont fictifs, mais construits, on le devine, à partir de longues interviews réalisées par la journaliste et tout aussi "réels" que les personnages historiques. 

En plaçant au coeur de son roman le Brewster-Douglas Housing Project, issu du New Deal, Judith Perrignon montre comment un projet social, qui a permis aux Noirs d'accéder à des logements décents et de trouver leur place dans la ville a peu a peu cédé devant les coups de boutoir du capitalisme.  L'histoire d'une ville, l'histoire d'un projet urbain c'est avant tout l'histoire d'une société, de ses réussites, mais aussi de ses échecs, de ses manques.  Une histoire sociale et une histoire politique. C'est dire si le roman de Judith Perrignon prête à réflexion !

http://motorcitymuckraker.com/2013/12/19/second-stage-demo-begins-historic-brewster-douglass-housing-project/

Pour revenir aux défauts du roman, mettons qu'il y a une écriture parfois un peu factuelle, qui ne laisse pas assez de place à l'émotion, et la difficulté pour le lecteur de passer sans cesse d'un lieu à un autre, d'une époque à un autre.  Il est vrai que ce fractionnement de la structure est un peu la mode littéraire du moment

Mais, de toute évidence, Judith Perrignon est tombée amoureuse de Detroit (qu'elle avait déjà brièvement et superbement évoqué dans un précédent livre, Les Faibles et les forts). Et je la comprends car Detroit, malgré ses ruines et ses terrains vagues, malgré sa pauvreté et sa criminalité, est une ville dont on s'éprend. Parce que, dès qu'on y met les pieds, c'est avec ses habitants que l'on entre en contact, ce sont eux qui vous guident vers les lieux, à leurs yeux les plus spectaculaires, qui vous accompagnent pour vous éviter de vous perdre, qui vous accueillent avec curiosité et générosité, parce que même les plus démunis, surtout eux peut-être, sont fiers du passé de leur ville. Aiment leur ville, malgré tous ses défauts.

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