Comment parler d'Apeirogon ? Comment rendre les mille éclats de ce roman hors du commun. Je sens que ce billet va être difficile, un des plus difficiles à écrire.
Oui, comment faire l'éloge d'un roman aussi éblouissant, sans faire un peu peur malgré tout au lecteur potentiel. Parce qu'ouvrir Apeirogon, c'est partir dans une formidable aventure littéraire, politique et surtout humaine.
Apeirogon est un puzzle de 1000 paragraphes (tous numérotés) que ne renierait sans doute pas l'Oulipo; une contrainte que l'auteur s'est donnée pour mener à bien son projet et qui lui permet d'englober dans les pages d'un livre le vaste monde. Apeirogon est un kaléidocsope aux mille morceaux fracturés, parfois minuscules, parfois plus larges dont l'agencement ne cesse de se modifier parce que la vie n'est que changements.
Apeirogon est un livre ancré dans un territoire restreint, quelques kilomètres seulement autour de Jérusalem, quelques kilomètres carrés cernés de murs, de check-points, de blocs de béton, de soldats en armes, de règlements absurdes, d'interdictions en tous genres. Et pas la peine d'aller sur Google map pour essayer de comprendre comment aller d'ici à là, d'Anata à Beit Jala ... Circuler dans la région est un vrai casse-tête et prend beaucoup, beaucoup de temps.
Les trajets de Rami l'Israëlien et Bassam le Palestinien dans le dédale des zones A, B, C, H1, H2, E1, chacune sous un statut différent, permettent très vite de comprendre que la situation géo-politique de la région est tout sauf compréhensible.
Pourtant, bien que totalement centré sur la relation entre Israéliens et Palestiniens, Apeirogon n'est pas un essai, ni même un roman à thèse. Tout au plus un roman engagé : Rami et Bassam sont non seulement amis, ils sont aussi des Combattants pour la Paix. Car l'un et l'autre ont perdu un enfant : la fille de Bassam a été tuée d'une balle en caoutchouc dans le crâne; la fille de Rami a été tuée, 10 ans plus tôt, dans l'attentat de Ben Yehuda street.
Colum McCann n'épargne pas son lecteur et les pages sur la mort des deux fillettes, ou le chagrin des pères sont particulièrement difficiles. L'auteur n'édulcore rien, car c'est au plus profond de leur humanité que ces deux hommes sont touchés. Emportés par la douleur, ils trouvent pourtant au fond de la tragédie, au fond d'eux-mêmes assez de force pour aller vers les autres, pour tendre la main vers leurs semblables et assez d'espoir pour témoigner et par leur témoignage, s'efforcer de changer, un peu, un tout petit peu les mentalités. C'est cette tension entre la mort et la vie, cette tension entre la haine et l'amitié qui reste en mémoire lorsqu'on referme le livre. Définitivement un très beau livre.
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