A quoi reconnaît-on un bon roman ?
La réponse est facile. Un bon roman est celui qu'on ne lâche pas une fois qu'on l'a commencé, quel que soit le nombre de pages. Celui qu'on continue à lire alors qu'il y a tant d'autres choses "plus utiles" à faire dans la maison, lancer une lessive, préparer un repas...
Un bon roman c'est aussi celui dont les personnages restent longtemps en vous. Il y en a d'agréables, d'autres nettement moins, mais tous sont intéressants, tous ont quelque chose de particulier; c'est la façon dont chacun a de réagir aux événements qui nous attache à eux. Et ce qui attend les personnages du roman de Rebecca Makkai n'a rien de réjouissant puisque le premier chapitre, situé en 1985, ouvre sur l'enterrement de Nico, un homosexuel que le sida vient de foudroyer.
1985 est une date clé pour l'épidémie : c'est le moment où les premiers tests permettant d'identifier le virus sont réalisés; quelques années plus tard, l'utilisation de l'AZT laisse entrevoir un premier espoir de traitement. Rebecca Makkai entraîne ses lecteurs dans le milieu homo de Chicago, nous fait partager les vies infiniment fragiles de Nico, de Terence, de Yale, de Charlie, mais aussi de Fiona, la petite soeur de Nico. Il s'aiment, se détestent, se désirent, se quittent, se contaminent, s'enfuient ou restent mais toujours s'obligent à rester "optimistes"; parce que, comme l'explique Cecily : "Personne dans cette pièce n'est naïf. Les gens naïfs n'ont pas encore connu de véritables difficultés, alors ils pensent que cela ne pourra jamais leur arriver. Les optimistes ont déjà traversé des épreuves. Et nous continuons à nous lever le matin, parce que nous croyons pouvoir empêcher que cela se produise à nouveau. Ou alors nous nous forçons à y croire."
Vingt ans plus tard, ils ne sont pas nombreux ceux qui ont survécu. Mais pour ceux-là la vie continue avec son lot de difficultés, et le souvenir ineffaçable des années sida, tragiques certes mais intensément vécues. Rebecca Makkai a choisi d'alterner les deux périodes, ce qui permet de montrer combien les vies des personnages ont été marquées par ce qu'ils ont vécu dans les années 80. De suggérer aussi que ce qui est arrivé à cette génération, n'est pas fondamentalement différent de ce qui est arrivé à ceux qui ont connu la guerre et l'épidémie de grippe espagnole ou aux artistes et intellectuels de "la génération perdue".
Les Optimistes a été publié aux Etats-Unis en 2018, avant la pandémie actuelle. Il résonne aujourd'hui de façon très particulière : alors même que nous apprenons à vivre avec la peur latente de la contamination, Rebecca Makkai nous fait comprendre l'effroi provoqué par l'arrivée du VIH, pour lequel il n'existait ni traitement ni vaccin. Elle montre les réactions de rejet, les agressions, l'homophobie mais aussi l'entraide, la solidarité. Le roman est souvent poignant mais jamais larmoyant. Et laisse une impression étrange. Ils étaient des milliers à mourir au début des années 80, mais le savions nous ? Avions nous compris ce qui se passait à Chicago ou ailleurs ? Le monde politique avait-il pris la mesure de ce que cela impliquait sur le plan médical, social ? En refermant le livre, on se sent un peu coupable de n'avoir pas été assez attentif.
https://www.sciencesetavenir.fr/sante/10-chiffres-pour-comprendre-l-epidemie-mondiale-de-sida_29654
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