29 août 2023

Les Yeux fermés

 Les Yeux fermés est un film qui prend son temps, ce qui permet au spectateur de s'installer dans une histoire dont il ne sait pas où elle va le mener. Le temps long du romanesque, confortable parce qu'on pénètre peu à peu dans l'esprit des personnages. On imagine, on suppose ...

Cela commence par le tournage d'un film un peu étrange, vaguement exotique, on y parle chinois, anglais, espagnol ... un enquêteur est chargé de retrouver une jeune-fille ... fausse piste. Un bond dans le temps et l'on apprend qu'une émission de télé se prépare pour tenter d'élucider le mystère de ce film tourné 20 ans auparavant  et resté inachevé : l'acteur principal a disparu du tournage et n'a jamais été retrouvé. Dernier emboîtement : Michel Garay, le réalisateur du film est interrogé ... et contraint de s'interroger sur son passé, sur les gens qui ont de près ou de loin participé au tournage. Peu à peu les pièces du puzzle se mettent en place. En réalité, le fil - ténu - de l'enquête sert surtout à mettre en place un certain nombre de personnages dont les trajectoires de vie, très différentes, se croisent et se décroisent. 

Avec quatre longs métrages en 50 ans, Victor Erice n'est pas le plus connu des réalisateurs espagnols mais chacun de ses films - L'esprit de la ruche, Le Sud, Le Songe de la lumière - ont laissé des traces dans ma mémoire et celui-ci, sans éclats, sans précipitation, mais avec beaucoup de tendresse raconte des occasions manquées, des rêves qui n'ont pas abouti, des chemins qui ont bifurqué, des vies sommes toutes ordinaires. Un film pour les amoureux du cinéma qui savent que, de toute façon, la vie dépasse toujours le cadre de l'écran. 


28 août 2023

Chris Offut, Les Gens des collines

 

Faire de Chris Offut un auteur de roman policier est bien trop réducteur. Ses romans, comme ses recueils de nouvelles, sont indéniablement noirs, et ils mettent en scène des actes criminels.  Mais l'essentiel est ailleurs. En particulier dans son dernier roman, dont le titre français, Les Gens des collines, a édulcoré, avec raison, le titre anglais, The Killing hills

Pourtant il y a bien une enquête policière : une femme a été retrouvée morte par un vieux bonhomme qui cherchait du ginseng dans les collines. Le shérif qui mène l'enquête est une femme. Elle est secondée par son frère, un enquêteur militaire. Ils sont tous les deux originaires de la région, le Kentucky, et connaissent mieux que personnes les habitants, leurs histoires familiales, leurs dérives.... la pauvreté, l'alcool, la drogue, les armes, rien de bien nouveau. Mais le regard que Chris Offut pose sur les gens des collines ne condamne pas. Il essaye de comprendre et de faire comprendre comment les mentalités se sont façonnées, les rancunes ont perduré, les règles d'honneur se sont imposées.

Chris Offut est un romancier habile. Et s'il utilise le code du polar, c'est pour mieux entraîner son lecteur dans les profondeurs humaines et le pousser à s'interroger sur ce qui peut expliquer des comportements jugés trop facilement aberrants. Comprendre avant de juger ! Et dans cette histoire  Mick Hardin et sa soeur sont bien mieux à même de résoudre l'affaire que le jeune agent expédié sur place par le FBI. 

Il semblerait que l'écrivain ait prévu de reprendre le personnage de Mick Hardin dans un prochain livre, Gens des collines n'étant que le premier volume d'une future trilogie ... je l'attends déjà ! 


 



 


L'Expérience Almodovar

 Une expérience cinématographique ou une expérience Almodovar ? 

Expérience cinématographique puisque la séance ne dure qu'une heure et des poussières, mais propose deux films radicalement différents. Deux films qui pourraient être projetés séparément, mais qui portent tous les deux la signature Almodovar. 

Expérience Almodovar parce que le réalisateur espagnol s'essaye ici au cinéma de genre tout en gardant ses marques. 


Strange way of life est un western où l'on retrouve, bien que les paysages soient un peu étriqués, tous les passages obligés : le cavalier solitaire qui arrive dans une bourgade perdue, la poursuite dans le désert,  le bivouac nocturne et pour finir le face à face pistolet au poing.... Anciens tueurs à gage, Silva et Jake se retrouvent après 25 ans; ils ont vieilli certes, se sont rangés, mais la passion qui les pousse l'un vers l'autre est intacte et les brûle comme au premier jour. Machos, mais homos : le pas de côté d'Almadovar par rapport aux codes du western. 


Le deuxième film est une adaptation libre du texte de Cocteau La Voix humaine. Du théâtre donc, mais filmé dans un décor de cinéma et magistralement interprété par Tilda Swinton. Il fallait bien une comédienne de ce niveau pour rivaliser avec les interprétations de Simone Signoret ou d'Anna Magnani. La mise en scène sobre est à la fois sobre et inventive, des taches de couleurs violentes : un texte de Cocteau, mais du pur Almodovar. 



L'Expérience Almodovar propose donc au spectateur curieux, deux films intenses, dans des genres non seulement différents mais diamétralement opposés puisque l'un joue la carte des grands espaces quand l'autre s'enferme dans des lieux clos. Pourtant les deux parlent, à leur façon du même sujet, décliné à travers tous les films du réalisateur espagnol : l'amour, la passion, et ses corollaires inévitables, l'abandon, la solitude.


27 août 2023

Amina Damerdji, Laissez-moi vous rejoindre

Un premier roman, ce n'est jamais parfait, mais parfois l'ardeur, la fougue emportent plus le lecteur que la perfection. Et c'est le cas avec Laissez-moi vous rejoindre qui met en lumière une femme peu connue de la révolution cubaine. Car oui, à côté des Fidel, Raoul, Ernesto et quelques autres, il y avait aussi des femmes. 

Les choix, a priori audacieux, d'Amina Damerdji sont, me semble-il, plutôt réussis. Elle fait d'abord le choix d'un roman historique, ce qui lui permet de garder une certaine distance vis à vis de ses personnages et ouf ! pas d'auto-fiction ! Elle choisit ensuite de s'intéresser aux prémices de la révolution cubaine : on est au tout début des années 50, avant l'attaque de la Moncada, une période nettement moins connue que l'expédition de la Granma et la guerilla finale. Elle choisit de reconstituer le parcours de Haydée Santamaria, une des deux héroïnes de la révolution cubaine, avec Melba Hernandez. Et c'est une façon astucieuse de montrer l'éveil de la conscience politique chez une jeune fille ordinaire, issue d'un milieu plutôt protégé.  Elle choisit enfin de lui donner la parole à la veille de son suicide, en 1980, alors que rien ne va plus à Cuba et que les cubains fuient l'île par milliers. Ce qui permet, sans s'appesantir de suggérer la fin des illusions pour Haydée, une femme pourtant totalement engagée aux côtés de Castro au moment de la prise de pouvoir et longtemps après. Reste pour la romancière le choix de ne pas se soucier  exagérément de vérité historique, mais de faire vivre de l'intérieur son personnage, de lui prêter sincérité, naïveté, innocence, ardeur, passion, avec même un peu de frivolité et d'insouciance. Et c'est ce qui fait toute la force et le charme de ce roman.

 



26 août 2023

24 heures à New York

 24 heures à New York  ? Oui sans doute pour le rythme trépidant de la ville, bien qu'on ne voie pas grand chose de la ville elle-même. En réalité, le film de Vuk Lungulov-Klotz propose surtout au spectateur de passer 24 heures auprès de Fena, jeune homme trans, confronté à toutes sortes de situations et de rencontres un peu compliquées. Lio Méhiel, trans-genre lui même, tient le film sur ses épaules; un jeu d'une grande intensité à la mesure des difficultés que son personnage doit affronter en si peu de temps -  retrouvailles avec son ex, fugue de sa jeune soeur, visite de son père  - sans compter toutes les petites avanies du genre laisser ses clefs à l'intérieur de l'appartement.... 

Certains reprocheront peut-être au film d'être trop didactique, mais il m'a paru éviter le piège du moralisme sentencieux au profit de l'empathie et donne d'un personnage trans une vision qui n'a rien de caricatural.

25 août 2023

Yamabuki

Pas franchement convaincue par ce film de Yamasaki Juichiro dont je perçois bien les intentions  - le portrait d'un lieu et de personnages qui n'entrent pas tout à fait dans le cadre de la société japonaise ultra codée - mais dont les choix esthétiques m'ont paru très radicaux : image granuleuse, couleurs dé-saturées, direction d'acteurs un peu flottante. Le réalisateur joue à fond la carte du réalisme  Maniwa, petite ville minière n'a rien d'un Japon de carte postale. Et c'est tant mieux.

Peut-être aussi, le réalisateur, a-t-il voulu brasser trop de thèmes : l'exploitation minière et ses conséquences écologiques, la condition ouvrière, l'immigration coréenne, les relations familiales, la paternité, ... quasi un documentaire auquel est ajouté une vague intrigue policière... c'est vraiment beaucoup pour un seul film et pas toujours facile à suivre pour un spectateur peu au fait de ces problématiques. D'autant que les dialogues ne sont pas toujours explicites. Bref, un film austère et exigeant,  mais ce n'était sans doute pas le bon jour pour moi.



18 août 2023

Laura Alcoba, Les rives de la mer douce

 

 
Un livre tout en douceur pour évoquer une enfance vécue dans l'obligation du silence. C'est en se promenant le long de la rivière de Pont-Aven que Laura Alcoba retrouve des bribes de son enfance d'un côté et d'autre du Rio de la Plata. Une enfance en Argentine sous la dictature. Une vie dans la clandestinité avec l'obligation pour la petite fille, de se taire, de ne pas parler des activités de ses parents. 
Laura Alcoba parvient dans ce court récit autobiographique à restituer le regard de l'enfant qu'elle a été, qui ne comprend pas tout, mais qui devine; qui passe d'un lieu à un autre, d'une famille à une autre comme si c'était normal : un père en prison, une mère contrainte à l'exil, le secret toujours... Pour un enfant qui n'a qui n'a rien connu d'autre, qui n'a pas de point de comparaison, la dictature comme la guerre font partie de l'ordre des choses. Ce n'est qu'en revenant sur les lieux à l'âge adulte, en retrouvant les gestes d'autrefois, que Laura prend conscience de l'étrangeté de son enfance. La conscience de la tragédie, elle est dans la tête de celle qui écrit comme elle est dans la tête du lecteur, pas dans la tête de l'enfant. En tout cas pas de façon explicite.

17 août 2023

Jakob Guanzon, Abondance

La misère, la vraie misère, quand chaque jour le père compte ce qui reste dans sa poche pour évaluer ce qu'il va pouvoir acheter, comment il va pouvoir survivre un jour de plus et donner à son fils l'illusion d'avoir une vie. Une vie normale ? Pas vraiment puisque "le petit" et son père sont sans domicile autre que le vieux pick-up.


Le roman de Jakob Guanzon pourrait être totalement larmoyant, mais il ne l'est pas parce que c'est d'abord et avant tout un constat sur l'état de la société américaine, lorsque plus rien ne fonctionne, sans aide sociale, ni solidarité de voisinage. L'enfant et son père sont seuls, terriblement seuls. Et le père a beau chercher toutes les solutions possibles, sans ménager sa peine, sa vie a déraillé depuis bien trop longtemps. Car c'est la deuxième piste que suggère le roman. Au départ il y avait une famille d'immigrés, originaire des Philippines, pour qui le rêve américain n'a pas tenu ses promesses, mais a crée frustrations, colère et violence. En  construisant son roman autour de la figure d'Henry, en imaginant l'adulte qu'il est devenu, mais aussi l'enfant qu'il a été l'auteur montre à quel point son passé peut conditionner un être humain, il montre que les capacités de résilience d'un individu sont fragiles et dépendent grandement de la façon dont la société traite ses membres. 

Alors le titre ? Abondance, vraiment ? Indigence, dénuement, pauvreté  paraissent plus appropriés.  Parce que la seule chose qui abonde ici ce sont les ennuis. Comme une application de la loi de Murphy. Pourtant il n'y a rien de plaintif dans ce roman. Juste un constat. Et beaucoup d'empathie.

16 août 2023

Les Herbes sèches

D'accord, 3h17 ! Il faut les caser dans son agenda. Mais quel beau film, quelle belle aventure, si loin d'ici et pourtant si proche parce qu'enseigner au fin fond de la Turquie n'est finalement pas si différent qu'enseigner ici, parce que les relations d'amitié, d'amour, de pouvoir, parce que les sentiments de rejet ou d'injustice,  la tristesse, mais aussi le désir, la curiosité forment tout simplement le fond de l'humanité.

Le film de Nuri Bilge Ceylan est tout simplement magnifique par ce qu'il traite à la fois de l'intime  et de l'universel, parce qu'il a une dimension sociale et parce qu'il se déroule dans des paysages somptueux, ceux de l'Anatolie orientale, région géographiquement isolée que le froid et la neige, quand vient l'hiver, isolent encore plus. Mais en pleine canicule, ces images de neige magnifiée par la caméra du cinéaste turc ... on en redemande  !  



15 août 2023

Les Meutes


 Après Limbo, j'ai cru que Les Meutes me paraîtrait "léger". Pas du tout ! Si avec Limbo il est possible de se tenir à distance en se réfugiant derrière la beauté des images et la virtuosité des scènes de violence qui finissent par déréaliser le récit, il n'en va pas de même avec le film de Kamal Lazrak. Les bas-fonds de Casablanca ne sont au fond pas très différents, des bas-fonds de Hong-Kong,  mais là il ne s'agit plus de suivre des policiers que leur métier a aguerri aux pires horreurs, il s'agit de suivre deux losers, un père et son fils, dans une équipée nocturne qui les voit dans la nécessité d'affronter les pires gangs de la ville.  Leur mission, se débarrasser d'un cadavre encombrant dont personne ne veut ! 

Unité de lieu (Casa), unité de temps (une nuit), mais diversités des thèmes parce qu'au thriller pur et dur s'ajoute la relation entre les deux hommes. Une relation complexe dont les nuances finissent par marquer le spectateur plus que les péripéties de la nuit. Sans pourtant tomber dans le mélo parce qu'ici et là il y matière à rire tant ces deux hommes ont l'art de s'attirer la scoumoune. Ce ne sont pas des pros de la violence, juste deux pauvres types qui essayent de reprendre pied. La réalité humaine l'emporte ici sur la fiction et c'est la raison pour laquelle le film est en fin de compte plus dérangeant que Limbo.

13 août 2023

David Heska Wanbli Weiden, Justice indienne

 
 
La couverture du roman de David Heska Wanbli Weiden dans la collection Totem de Gallmeister est particulièrement accrocheuse : moto contre bison sur fond de ciel enflammé ! Difficile d'imaginer une romance derrière la couverture. Plutôt un polar. Un polar assez âpre en fait, parce que situé dans une réserve indienne du Dakota du Sud. Des conditions de vie difficiles et un système judiciaire assez particulier puisque certains délits dépendent de la police tribale, mais les plus graves, de la police de l'Etat, qui ne se soucie pas des affaires de viol ou de disparition. En revanche démanteler un traffic de drogue... voià qui est nettement plus prestigieux et permet d'avancer les carrières ! Justice indienne  vraiment ? Injustice plutôt !
Le personnage principal, Virgil, gros bras qui sur la réserve met son savoir faire au service de qui le paie, se trouve malgré lui, obligé de coopérer avec la police de l'Etat qui n'hésite pas à utiliser Nathan, son jeune neveu, comme appât et le met en grave danger malgré les promesses.
Voilà pour l'intrigue qui fait tourner les pages. Mais le fond du roman c'est bien la condition indienne et le déchirement pour beaucoup d'individus entre tradition et modernité, entre une culture indienne dont ils se sont souvent éloignés sans pouvoir totalement la renier, et l'américanisation choisie ou forcée, alors même qu'ils sont rejetés et humiliés.
 Avec ce premier roman, souvent poignant,  David Heska Wanbli Weiden, prend place parmi d'autres auteurs qui, depuis quelques années ont réussi à créer un vrai mouvement d'intérêt autour de la situation des premiers occupants du vaste territoire américain. 
 




 

12 août 2023

Les Tournesols sauvages

 Après les deux derniers films, bien noirs,  Les Tournesols sauvages de James Rosales paraît presque fade. Presque seulement, parce que les déboires amoureux/conjugaux de Julia frôlent plusieurs fois la catastrophe. A 22 ans, même avec deux enfants, on n'est pas rangé des voitures et Julia s'imagine à chaque fois avoir trouvé l'homme idéal, bon amant, bon père .... Mais non ! Pas si simple ! 

Anna Castillo, qui tient le rôle principal est d'un naturel confondant, les dialogues sonnent juste, mais voilà, ce film en trois épisodes (le nouvel amant, l'ex-mari, l'ami d'enfance) ressemble un peu trop à un manuel de savoir-vivre conjugal où sont énoncés les pièges à éviter. Un film bien fait, bien joué, mais un peu trop démonstratif à mon goût.


08 août 2023

Limbo

 Noir, vraiment très noir ! Et très violent. Extrêmement. Mais Limbo est un film étonnant. Remarquable dans son genre. 

Il part pourtant d'un schéma tout à fait banal. Deux flics, forcément désaccordés  - blouson de cuir pour le vieux routard désabusé, costume-cravate pour le jeune flic tout juste diplômé et supérieur hiérarchique du premier - font équipe pour enquêter sur un "serial killer" qui a pour habitude de couper les mains des femmes ! Oui, beurk 

Et ça continue parce que les crimes ne cessent de se multiplier dans les bas-fonds de Hong Kong : des ruelles sordides, des entrepôts désaffectés, des décharges sauvages .... rien qui donne envie d'aller faire du tourisme à Hong Kong. Du début, à la fin on nage dans le glauque, dans le sordide. 

Pourquoi dans ces conditions aller voir ce film  ? Parce que c'est un très bon polar et que dans sa catégorie il détonne par ses partis-pris esthétiques,  avec une photo particulièrement soignée,  des cadrages inattendus, des effets d'ombres et de lumières qui allègent - un peu -  la noirceur du propos et rendent - à peu près -
supportable la violence. Je retiens volontiers le nom du réalisateur, Soi Cheang Pou-Soi et de Kin Yee Au, la scénariste, mais j'attendrai peut-être  un peu avant d'aller voir un autre de leurs films....


07 août 2023

Katerina Poladjab, Ici les lions


 Il y a un peu de tout dans ce roman et ce n'est pas désagréable parce la vie est souvent faite de bric et de broc.  Moments interrompus, instants éparpillés finissent malgré tout par dessiner une trajectoire. Celle d'Helen Mazavian, venue en Arménie pour restaurer un livre ancien est à la fois simple et compliquée. 

Il y a d'abord son travail, un travail minutieux, très technique dans lequel elle s'absorbe avec passion mais qui la conduit forcément à s'interroger sur l'origine du livre entre ses mains. Et par conséquent sur l'histoire de l'Arménie qui se trouve être aussi celle de sa famille. Elle qui ne s'était jamais vraiment soucié de son histoire familiale, s'interroge sur la nécessité de remonter jusqu'à ses racines. 

Ici les lions, est un joli roman, qui sait entremêler l'histoire des individus avec la grande Histoire, qui sait que les tragédies d'hier sont aussi celles d'aujourd'hui, que les relations avec les autres sont parfois compliquées, que l'amour est fragile. Ici les lions est le premier roman traduit en français de Katerina Poladjab. Elle en a écrit trois autres, pas encore traduits, ainsi qu'un récit de voyage en Sibérie.



06 août 2023

Yannick

 Un Dupieux, ça ne se refuse pas ! Et je suis plutôt fan. Mais celui-ci m'a laissée de glace. Certes, le film ne dure qu'une heure et des poussières;  il paraît pourtant bien long.  Il s'appuie essentiellement  sur la performance d'acteur de Raphael Quenard, excellent dans ses rôles de grande gueule (cf. Chiens de casse). Pourra-t-il en sortir ? Cela n'est pas certain. Que le réalisateur s'en prenne au mauvais théâtre n'était pas pour me déplaire; qu'il laisse entendre que les spectateurs sont pris en otage, soit ! Mais du coup la même affirmation vaut aussi pour le cinéma, y compris pour le film de Quentin Dupieux ! Le spectacle ne vous plaît pas. On se lève et on se casse ! 



04 août 2023

Les Filles d'Olfa

Une mère, Olfa, et ses quatre filles, toutes musulmanes, mais les deux ainées sont devenues intégristes et sont parties en Libye

Rien n'est simple dans ce film dont le dispositif, entre fiction et documentaire met en scène un fait réel. Rien n'est simple parce qu' Olfa joue son propre rôle, mais elle est remplacée par une actrice professionnelle pour les scènes les plus difficiles. Les deux cadettes jouent leurs propres rôles, mais les deux aînées, absentes, sont elles aussi remplacées par des actrices professionnelles. Il n'est donc pas toujours facile de s'y retrouver.  Mais en même temps on a parfois l'impression de participer au making-of du film et aux interrogations des unes et des autres sur la façon de jouer ou d'interpréter leur personnage. D'autant qu'un seul acteur tient tous les rôles masculins : le premier époux d'Olfa, le second,  et même le policier chargé de l'enquête pour viol...

Cette distribution des rôles souligne les ambiguïtés du film qui, par certains aspects,  constitue un document sociologique et culturel tout à fait passionnant sur la façon dont les femmes tunisiennes vivent, coincées comme elles sont entre tradition, religion et modernité.  Le passage sur le port du voile (signe de non-conformisme, effet de mode autant que conviction religieuse) est particulièrement intéressant  tant il souligne la complexité du sujet. Mais Les Filles d'Olfa prend parfois des allures de psychanalyse sauvage susceptible de mettre mal à l'aise le spectateur peu habitué à l'exposition médiatique de l'intime.

Une chose est sûre, Khaouter Ben Hania est une réalisatrice de talent, qui maîtrise parfaitement sa mise en scène, choisit ses cadrages pour mettre le spectateur à distance ou au contraire pour s'approcher au plus près des émotions, joue des couleurs (noir, rouge, blanc) pour donner de la force à son récit et souligner la vitalité et la force de résilience de ces femmes.

02 août 2023

Natasha Brown, Assemblage

 


Littérature ou pas littérature ? Assemblage est un récit de vie, un long monologue écrit par une jeune femme anglaise au moment où son destin va peut-être  - ou peut-être pas - prendre un chemin décisif. Cette jeune femme qui parle à la première personne est noire, et elle est, d'une certaine façon le symbole de la réussite sociale qu'elle ne doit qu'à son intelligence, son travail et....  sa soumission aux normes. Elle a coché toutes les cases : études dans les bonnes université, carrière ascendante dans une grande entreprise, aisance financière qui lui a permis l'achat d'un appartement dans les bons quartiers etc, etc. Pourtant ni son intelligence, ni sa culture, ni ses efforts pour se conformer aux diktats de la bonne société ne lui permettent d'être pleinement reconnue comme un membre de la bonne société anglaise. Aux yeux des participants à la grande garden-party de ses éventuels futurs beaux-parents, elle reçoit un accueil courtois qui masque à peine la condescendance. Noire elle est, noire elle restera. 

Il y a dans ce texte beaucoup de rage et pas mal d'amertume. Beaucoup d'implicite aussi, ce qui oblige le lecteur à s'interroger sur la façon dont s'opère -  ou ne s'opère pas -  l'intégration sociale. Natasha Brown est anglaise, elle pourrait tout aussi bien être française. Et sa remise en cause de la méritocratie sonne comme une alarme.