Ah, Madame Hayat ! Difficile de ne pas en tomber amoureux. De ne pas se laisser séduire par elle comme le jeune Fazil, ce gosse de riches devenu pauvre du jour au lendemain, à cause d'un revers inattendu. Pauvre et passablement paumé. Solitaire cela va de soi. Le voilà figurant dans une émission de télévision pour gagner trois sous et poursuivre malgré tout ses études. C'est à cette occasion qu'il rencontre la très voluptueuse et très libre Mme Hayat qui l'initie au "Carpe diem". Il y a bien une autre femme, une jeune fille avec qui il lie une relation amicale et vaguement amoureuse. Ils ont beaucoup à partager. mais, malgré son jeune âge et sa beauté, à côté de Mme Hayat, elle ne fait pas le poids !
On aurait tort pourtant de croire qu'Ahmet Altan n'a rien d'autre à raconter que les ambivalences sentimentales d'un jeune-homme en quête de lui-même. Non, je crois que ce roman est à lire comme une fable, une parabole qui en termes déguisés nous parle de la Turquie. La femme aux cheveux couleurs de miel, si belle, si généreuse, cette femme que la vie a déjà pas mal bousculée, qui parfois disparaît sans que l'on sache pourquoi et toujours réapparaît, cette femme si libre, sans préjugé qui ne cesse de fasciner Fazil, n'est-elle pas l'image idéalisée d'un pays dont rêve l'écrivain alors emprisonné ? D'ailleurs Hayat n'est-il pas un prénom d'origine arabe signifiant "vie" ?
Et puis, à côté des trois personnages principaux, il y a dans ce roman tout un microcosme que fait vivre l'écrivain, gens du peuple réfugiés dans une pension un peu minable où chacun a sa chambre, mais partage cuisine et salle de bain. Au fil des pages on croise l'un ou l'autre de ces locataires : Tehvide, une gamine de 5 ans et son père, Gülsüm, le travesti, Mogambo, un grand noir qui vend des sacs à main, un "poète" qui n'écrit pas de poèmes mais rédige des libelles séditieux...Dans l'immeuble "personne ne commmandait, aucune autorité ne s'imposait, et pourtant chacun s'y sentait en parfaite sécurité." Le danger est dehors, lorsqu' interviennent les policiers ou les hommes aux bâtons, dont on se sait lesquels sont les plus brutaux. Capables les uns comme les autres de s'en prendre aux femmes, aux travestis, aux intellectuels et jusqu'aux professeurs d'université qui tentaient de prendre la défense de leurs étudiants.
Roman d'amour, roman d'éducation, roman politique, fresque sociale, Madame Hayat a certainement mérité son Prix Fémina étranger. En le lisant, j'ai parfois pensé à Roman Gary, écrivain humaniste s'il en est ! Et particulièrement apprécié le motif récurrent de la photo d'August Sanders, Trois fermiers s'en vont au bal. Parce qu'il y a comme ça dans la vie ou dans la littérature, des images qui vous marquent et que l'on n'oublie pas. Comme il y a des romans que l'on n'oublie pas.
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