29 avril 2022

Callan Wink, August


Courir au clair de lune avec un chien volé était le titre du recueil de nouvelles publié par Callan Wink en 2017. Le titre anglais Dog Run Moon était à peine moins improbable, mais version française ou version américaine, dès cette première publication, la réputation du jeune auteur était assurée : un écrivain à suivre.

Il vient de publier son premier roman, au titre beaucoup plus sobre : August. August est tout simplement le nom de l'adolescent dont on suit avec intérêt la trajectoire depuis le Michigan jusque dans le Montana. Son quotidien est celui d'un garçon, dont les parents ne s'entendent plus, qui se réfugie avec son chien dans la nature quand il en a fini avec les tâches quotidiennes qui lui incombent sur la ferme laitière de son père. Il observe le monde autour de lui, n'ignore rien de ce qu'il s'y passe, observe plus qu'il n'intervient. Un adolescent réservé. Lorsque sa mère s'installe dans le Montana, il perd ses repères,  peine à se faire des amis, mais découvre un région plus sauvage que celle du Michigan, une région plus à son image. Il travaille dans un ranch et on le voit dur à l'ouvrage, peu causant certes, mais on le voit aussi prendre peu à peu confiance dans ses capacités, sa résistance physique autant que mentale, sûr en fin de compte de ses valeurs et de ses choix. 

Dans ce roman sans véritable intrigue, Callan Wink montre le passage d'un adolescent à l'âge adulte sans s'encombrer d'analyses psychologiques : il lui suffit de mettre en scène des comportements, de restituer des dialogues, de donner à voir sans jamais sombrer dans le pathos. Au lecteur de faire le reste du chemin pour s'approcher du personnage.  Aux yeux d'un lecteur français, le récit peut paraître exotique, après tout on est dans le Montana, la terre de Jim Harrison, des ciels immenses et des grands espaces, des cowboys et des rodéos. Mais le travail d'un cowboy du Montana ce n'est jamais que celui d'un garçon de ferme, qui passe plus de temps à cogner sur des pieux pour consolider des barrières qu'à se soûler dans les bars. Ni effet de manche, ni effet d'écriture dans ce roman, mais une sobriété qui sied parfaitement au personnage.

https://callanwink.com/fishing

26 avril 2022

I comete

 Chronique d'un été dans un petit village de Corse ? En réalité, I Comete est un film qui ne ressemble à rien, en tout cas rien de connu. Qui tient du documentaire, mais un documentaire sans commentaire qui se contente de montrer. Ce qui, après tout, est le propre du cinéma. Un documentaire qui donne à entendre aussi, mais c'est de là que provient la difficulté, parce qu'entre prise de son pas terrible, accent corse et dialogues en corse sous-titrés, il n'est pas toujours facile comprendre ce que disent les personnages. De comprendre les relations entre les uns et les autres, ce à quoi ils font allusion. 

Autrement dit, inutile de chercher une intrigue, il n'y en a pas. Mais cette suite nonchalante de portraits, gens de tous âges et de toutes conditions,  qui n'ont pas grand chose en commun  si ce n'est le fait d'habiter dans ce village tranquille, finit par séduire parce qu'il est sans apprêt et ressemble tout simplement à "la vraie vie". Le parti-pris du réalisateur, Pascal Tagnati est osé et à demi-réussi. Sauf à considérer le film comme un document ethnologique plutôt qu'une fiction. Ce qu'il est sans doute.


25 avril 2022

Racines du ciel


 

Vue à l'espace Aragon (Villard-Bonnot), l'exposition de Fouèse, une artiste qui manie aussi bien l'acrylique, que l'encre ou l'aquarelle, mais toujours pour peindre la nature et en particulier les arbres et leurs racines. 

 


https://www.fouese.com/accueil.html

 

24 avril 2022

Frederic Ploussard, Mobylette

 

Une mobylette ! Pas un vélo-moteur et encore moins un vélo électrique ! C'est tout ce dont rêvait Dominique à qui ses parents n'avaient jamais fait de cadeau. Quand l'enfance commence de travers, la suite est souvent difficile. Et la vie de Dominique, devenu éducateur spécialisé dans un établissement où il s'occupe d'adolescents plus perturbés qu'il l'a été, n'a rien de facile. 

Parti sur ces bases, Frédéric Ploussard aurait pu écrire un roman misérabiliste et larmoyant. D'autant plus que tout se passe du côté des Vosges et de  la Lorraine, pas la région la plus souriante de France. Mais rien à craindre ! Bien qu'à son premier roman, l'auteur ne manque ni d'imagination ni d'humour et Mobylette est un roman qui cumule les situations insolites. Il faut dire que les ados du foyer de la Dent du Diable en font voir de toutes les couleurs  à leur éducateur ! Et que du côté de l'administration, c'est encore pire ! On  peut d'ialleurs supposer que certains "incidents" ont été inspirés à l'auteur par son propre expérience ! Il n'est pas facile sans doute pour un écrivain de garder l'équilibre entre fiction et réalité. Mais aussi invraisemblables que soient les situations, aussi bizarres que soient les personnages, aussi farfelus que soient parfois les dialogues, le roman sonne juste, sonne vrai : c'est bien de notre société que parle l'écrivain. De cette partie de la société que les élites ont tendance à ignorer.


22 avril 2022

Une bande dessinée à lire avant dimanche ?

"Deux auteurs de bandes dessinées (les Grenoblois Lara et Morgan Navarro), un écrivain et scénariste (Jacky Schwartzmann), et une historienne spécialiste de l’extrême-droite et du conspirationnisme (Valérie Igounet). C’est le casting 4 étoiles qui s’est réuni pour donner naissance à la BD Ils sont partout, récemment parue aux éditions Les Arènes.

Une œuvre qui part d’une trame de fiction (la quête d’une jeune journaliste parisienne pour retrouver son frère porté disparu après avoir frayé au sein de la sphère complotiste), pour dévoiler en détail les coulisses d’un phénomène bien réel, en pleine expansion depuis maintenant une vingtaine d’années. Porté par une volonté pédagogique clairement affichée, Ils sont partout a les défauts de ses qualités : ultra-documentée, l’œuvre dresse ainsi un portrait aussi complet que détaillé des différentes mouvances du conspirationnisme, de leurs liens sous-jacents avec l’extrême-droite radicale, du business lucratif qu’elles représentent, de leur capacité à offrir des réponses simples et fallacieuses à des questions complexes… et constitue ainsi une excellente introduction pour un public néophyte. Le lecteur plus averti, en revanche, renâclera peut-être davantage face au didactisme appuyé de l’ouvrage, dont le caractère très démonstratif ne laisse que peu de place à la subtilité et à la nuance."

Ils sont partout de Valérie Igounet, Jacky Schwartzmann, Morgan Navarro et Lara (éditions Les Arènes)

Lu dans le Petit Bulletin  du 12 Avril 2022 sous la plume de Damien Grimbert

J'ajoute pour ma part que le didactisme ne me gêne pas, au contraire, puisqu'il correspond à l'objectif de vulgarisation, qu'un essai en bonne et due forme n'atteindrait peut-être pas. 

19 avril 2022

Alexandre Labruffe, Wonder Landes

 Désaxée ... Foutraque ... Difficile de trouver le bon qualificatif pour la famille Labruffe. Le frère est franchement marteau; couvert de dettes et menacé par ses créanciers, le voici en prison. Le père, brillant intellectuel, bouleversé par la situation de son fils, s'enfonce peu à peu dans la maladie. Au narrateur de gérer comme il peut cette famille disfonctionelle, huissier, avocat, médecin sans oublier son épouse coréenne et la chamane chargée de l'aider. 

Le récit est morcelé, dans un va et vient constant entre les personnages, entre présent et passé - normal quand la maison familiale que le narrateur va être contraint de vider est à Origine, petit village des Landes. L'écriture est fantasque, entre délire parano et humour surréaliste. Et à vrai dire on ne sait trop comment prendre cet ouvrage. Sérieux ? pas sérieux ? Qu'est ce qui est vrai, qu'est ce qui ne l'est pas ?

J'ai commencé de lire Wonder Landes comme une farce, avant de me dire qu'il ne s'agissait peut-être pas d'une fiction  bien inventée, mais d'une histoire vraie, d'un récit autobiographique qui relève plus de la tragédie que de la comédie. Tout en continuant de penser que le personnage peut bien avoir le même nom que l'auteur,  sans que les déboires de l'un soient celui de l'autre. Je suis finalement restée perplexe, admirative devant la capacité d'Alexandre Labruffe de rire et de nous faire sourire de ses désarrois et de sa détresse. Un peu comme John Fante ou Jean-Paul Dubois dans leurs meilleurs moments.

 


 



18 avril 2022

Peter Heller, La Rivière

 Celui-là, une fois ouvert, on ne le referme pas ! Parce qu'avec Wynn et Jack, on part pour un long périple en canoe sur la rivière Maskwa. On est dans le Nord du Canada, juste avant les premiers gels qui annoncent l'arrivée de l'hiver. Deux amis de longue date, rodés à l'exercice et bien équipés, ont décidé de rejoindre la baie d'Hudson; ils ont repéré leur itinéraire, savent où sont les rapides les plus coriaces et partent sans inquiétude. Heureux de cette aventure à deux .

Oui, mais .... il y a cette petite odeur de fumée, et puis ces deux texans pas très sympathiques, et ce couple en pleine dispute aperçus un peu plus loin sur la rive. Alors très vite tout dérape et l'angoisse monte. L'incendie qui menace, la femme retrouvée blessée, inconsciente dont se chargent les deux étudiants, le mari qui les attend au bivouac avec un fusil après avoir jeté à l'eau tout leur équipement. Les voici désormais en mode survie.... 

Oui, il y a un peu de Jack London dans le roman de Peter Heller. Un peu de Mark Twain aussi.  Roman d'aventures, roman des grands espaces, avec un côté un peu scout parfois.  L'écrivain est visiblement expert dans bien des domaines, la pêche à la mouche, les moyens de lutter contre l'hypothermie, le tir à la carabine, et pour faire large  les techniques de survie en milieu hostile, avec ou sans équipement. Mais il excelle aussi à décrire des paysages somptueux, des lumières de petit matin, les animaux aperçus dans les sous-bois, ou ce gigantesque feu de forêt qui met ses personnages en péril. Il lui reste à camper des personnages crédibles, mi-poètes, mi-aventuriers et à nouer une intrigue solide qui tient quasiment du roman policier. Et voilà pourquoi, une fois le roman commencé, on ne le quitte plus . 

 




17 avril 2022

Seule la terre est éternelle

Pas franchement déçue par le film de François Busnel sur Jim Harrison, mais pas enchantée non plus.  A vrai dire j'y ai trouvé ce que j'espérais, un road trip du Montana jusqu'à Patagonia, petite ville au Sud de l'Arizona et donc des paysages souvent somptueux, des ciels immenses, des routes qui n'en finissent pas. Bref, tout ce que j'aime quand je voyage en Amérique. 

Mais Jim Harrison n'est pas vraiment mon auteur préféré, et surtout c'est un monsieur âgé, en fin de vie et qui donne de la vieillesse une image pas très ...engageante, d'autant qu'il est souvent filmé en très gros plan. Mais on connaît la fascination de François Busnel pour les écrivains américains et on peut espérer d'autres portraits plus... juvéniles peut-être. Moins connus, moins "statufiés"

16 avril 2022

David Joy, Nos vies en flammes

Le dernier roman de David Joy, Nos vies en flammes est plutôt un roman noir qu'un polar. Très noir ! Malgré les flammes qui illuminent la couverture celle des incendies qui pendant des mois ont ravagé les forêts des Appalaches.

Mais les incendies ne sont là que pour servir de toile de fond, et accessoirement de métaphore au roman : ils menacent l'intégrité de la nature comme la drogue menace l'intégrité de la population de Caroline du Nord. Depuis plus de vingt ans, les opioïdes, vendus sur ordonnance, ravagent une population qui s'est retrouvée sans perspective après la  fermeture des mines et des usines métallurgiques de la région. 

David Joy n'en est pas à son premier roman, et dans Nos vies en flammes comme dans les précédents, il n'élude rien quand il s'agit de parler d'addiction et de violence. Mais dans celui-ci on sent que la rage de Ray, le personnage principal,  dont le fils vient de mourir d'une overdose est aussi la sienne. Comme s'il avait franchi un cran dans la haine de ceux qui, par appât du gain, massacrent une jeunesse. Rien n'est donc épargné au lecteur, témoin malgré lui de l'overdose du jeune Ricky, que son père décide de venger en s'en prenant aux dealers qui ont fourni la drogue. Mais s'en prendre aux circuits proches est dérisoire, le trafic est beaucoup plus large et il faudrait pouvoir remonter plus haut, jusqu'aux vrais responsables, les entreprises pharmaceutiques aussi bien que les politiques. En attendant, l'Oxycontin continue de circuler et les flammes de brûler. 

En postface, David Joy a placé un article publié en 2020 dans la revue America, Ce texte, qui donne un éclairage plus personnel sur la crise des opioïdes, peut aussi bien être lu en préface car il permet de saisir plus rapidement les enjeux du roman.


15 avril 2022

Magnolia étoilé


 

Blanc virginal et pétales de velours, au sortir des salles obscures, le printemps est bien là.

 

14 avril 2022

Geneviève Brisac, Les enchanteurs

On connaît l'écriture très particulière de Geneviève Brisac, une écriture déstructurée qui donne de l'allant et du punch à la moindre de ses pages et contraint le lecteur à une gymnastique intellectuelle pour  décoder, comprendre à demi-mots ce qu'elle dit et ce qu'elle sous-entend. 

C'est plus que flagrant dans ce récit en grande partie autobiographique qui relate sa carrière dans l'édition, brillante certes, mais qui semble lui laisser une certaine amertume. On apprend ainsi, si on ne le savait déjà, que les ambitions, les rivalités, les mesquineries sont de règles dans l'édition comme dans n'importe quelle autre entreprise.  Que le droit de cuissage s'y applique comme ailleurs.  Que les idéaux y sont souvent malmenés, et les amitiés également.  Nouk puisque c'est le prénom derrière lequel se montre plus que ne se cache l'autrice,  aime se présenter comme une jeune femme au caractère bien trempé, à la fois brillante et rebelle. Ce qu'elle est certainement.  Alors pourquoi tant de haine ? 




13 avril 2022

L'ombre d'un mensonge


 Pour changer un peu des films espagnols, un film de Bouli Lanners, grand acteur et réalisateur belge. Et le changement est effectivement radical puisqu'on se trouve transporté en Ecosse, dans des paysages vastes, vides et bien entendu superbes. Le temps de se souvenir que Lanners avait commencé une carrière dans les beaux-arts et qu'il a plus qu'un autre le sens de la lumière, le film est déjà bien avancé. 

Son personnage ? un type assez banal, du genre costaud et peu parlant,  qui se sort assez bien d'un AVC bien qu'il ait totalement perdu la mémoire. La fille de son patron, une celibataire du genre vieille-fille lui fait croire qu'ils ont autrefois été amants. L'histoire d'amour, comme d'ailleurs les personnages, est peu conventionnelle et c'est ce qui fait son charme. Il y a en outre quelque chose de très anglais (écossais ?) dans les non-dits, les sous-entendu, les silences et les regards qui parlent plus que les silences. Aucune esbroufe, pas de "happy-ending", mais un film malgré tout réconfortant.

12 avril 2022

Elena Piacentini, Les Silences d'Ogliano

 

Lorsque commence le roman, la fête est déjà finie et Libero a découvert tous les secrets qu'il cherchait. Des années plus tard, lorsqu'il revient au pays, il retrouve ses souvenirs... Souvenirs d'une enfance sans père, d'un village où celui qu'on appelle le Baron se croit tout permis parce qu'il est riche,  d'un village mystérieusement protégé des agissements de la mafia qui pourtant s'impose dans les vallées proches, souvenir d'une amitié particulière avec le fils du baron ... 

Elena Piacentini n'est pas une novice en matière de littérature et après plus d'une quinzaine de romans policiers publiés chez d'autres éditeurs, on sent le savoir-faire de celle qui sait conduire une intrigue et ménager suffisamment de suspens pour accrocher le lecteur. Le roman sent un peu le bon vieux temps, entre Pagnol et Mérimée.

Quelques effets stylistiques mal venus m'ont parfois gênée, mais j'ai lu le roman avec plaisir, d'autant qu'à deux reprises, j'y ai retrouvé un choix d'horizon qui est aussi le mien. 

" A Ogliano, les montagnes occultent la quasi-totalité du ciel"

"Ces vallées s'étageant à l'infini m'évoquaient la monotonie des prisons. Des creux, des bosses, des forêts et des planches de jardin, du vert toujours et encore, déjà éteint par le feu de l'été. Nulle part le bleu de la mer. Moi qui ne rêvais que de départ, j'aurais voulu entrevoir un bout d'horizon, et dans cette brèche, des bateaux. "

11 avril 2022

Ojoloco 2022 : Karnawal

Film de clôture du festival Ojoloco, le film de Juan Pablo Felix en a ravi plus d'un. Moi la première. 

Situé dans un petit village du Nord de l'Argentine, à la frontière de la  Bolivie où se font toutes sortes de trafics, le film met en scène un adolescent solitair pour cause de famille disloquée : père en prison, mère qui gère au mieux les tâches quotidiennes et s'est mise en ménage avec un gendarme que visiblement l'adolescent apprécie peu. Jusque là, le sujet est relativement banal jusqu'à ce qu'on découvre que Cambra est un danseur de Malambo, un passionné, prêt à tout pour se procurer les bottes qui lui permettront de briller à la prochaine compétition. A partir de là, tout s'embrouille d'autant que son père qui a obtenu une brève permission, a exigé de voir son fils.


 Karnawal emmêle avec brio tous les fils de l'intrigue : les relations complexes des différents membres de la famille, en particulier du père et de son fils,  mais aussi de la mère avec son ex; la petite et grande délinquance à laquelle se prêtent les habitants de ce coin reculé de l'Argentine et qui met en danger les personnages ;  les répétitions pour la compétition de Marambo à laquelle Cambra doit participer; le tout sur fond de Carnaval, une tradition populaire scrupuleusement maintenue parmi les villageois. 

Le film passe constamment de l'ombre à la lumière, clair-obscur des scènes d'intérieur, néons éblouissant de la fête foraine, décors embrumés des scènes de nuit. Le réalisateur a mis plusieurs années à monter ce film, près de 2 ans pour le tourner, mais le résultat est là : scénario, montage, direction d'acteurs ... pour un premier long métrage, c'est plutôt réussi ! Sans oublier le travail du chorégraphe parce que la scène finale, la compétition de Marambo, est tout simplement éblouissante ! 


PS. Le film doit sortir en France le 4 Mai. 


Ojoloco 2022 : Je tremble, ô Matador !

 Film politique ? Histoire d'amour ? Définitivement une belle histoire d'amour, bien que située au Chili en 1986, c'est à dire en pleine dictature Pinochet. Un régime qui poursuivait aussi bien les militants démocrates que les travestis et autres reines de la nuit. 

C'est au hasard d'une  de ces descentes de police que celle qui n'a pas de nom mais se fait appeler "la doña" rencontre un révolutionnaire idéaliste qui lui demande d'entreposer dans son appartement des caisses de livres - en réalité des caisses de munition. Commence alors une histoire à hue et à dia entre les deux personnages,  la doña étant prête à tout y compris affronter la police et les militaires pour un regard de Carlos. Elle sait qu'elle ne sera jamais payée de retour, mais elle vit, elle vibre, espère, se fâche, boude, passe par toutes les émotions de la vie amoureuse. Un rôle tenu de main de maître par Alfredo Castro, totalement crédible dans ce rôle difficile. 

Le film de Rodrigo Sepulveda ne faisait par partie de la sélection pour le Prix de la catégorie fiction. Dommage. Je lui aurais volontiers donné la première place tant il respire la générosité et le courage de vivre sa vie, quelle qu'elle soit. 



Ojoloco 2022 : Les repentis

Il y a dans ce film tout ce que l'on peut attendre d'un bon film : un sujet fort, des personnages intenses et remarquablement interprétés, de la réflexion, de l'émotion ... 

Le film commence avec une séquence d'une extrême violence puisqu'un homme politique Juan Maria Jauregui est assassiné par trois militants de l'ETA qui parviennent momentanément à s'enfuir; la scène suivante est celle de l'annonce du décès de Jauregui, à sa femme d'abord, puis à sa fille qui vient de fêter ses 19 ans. Le montage alterné insiste sur l'avant et l'après : l'insouciance, la gaîté d'une vie qui soudain vole en éclat. Le film se place ainsi directement du côté des victimes et montre la mise en place du processus qui permettra des années plus tard, aux victimes de se retrouver face aux repentis, désormais en prison pour de longues années. Un processus qui devrait permettre aux assassins de progresser dans leur renoncement à la violence et aux victimes de trouver une explication et d'une certaine façon un apaisement. 

Le film, qui s'appuie sur des faits désormais historiques repose presque totalement sur le jeu des deux acteurs principaux : Luis Tosar en taiseux torturé par sa conscience et Blanca Tortillo qui tient le rôle de  Maixabel, la veuve de Jauregui, un personnage d'une générosité, d'une force et d'un courage admirable.

Qu'il soit intitulé Maixabel (en Espagne) ou Les Repentis (en France), le film d'Iciar Bollain est un de ces films qui saisit le spectateur dès les premières images et ne les lâche qu'au dénouement. C'est surtout un film qui permet de croire encore un peu à l'humanité.


 

10 avril 2022

Ojoloco 2022 : Yo y las bestias

 

  Quelques images surprenantes, surtout au début, quelques idées loufoques, mais l'histoire de ce laborantin vénézuélien qui se sépare de son groupe sur un coup de tête et essaye ensuite d'enregistrer un  disque,  tout seul ne m'a pas beaucoup intéressé. Il y a bien sûr un petit côté suréaliste quand on voit apparaître deux musiciennes masquées et voilées de jaune  de la tête aux pieds,  qui semblent faciliter l'inspiration du musicien (ses muses ?), mais le rythme du film est beaucoup trop lent, trop mou, les séquences chantées n'en finissent pas. Et l'on finit par se dire que Nico Manzano n'avait pas suffisamment de matière pour un long métrage.

09 avril 2022

Ojoloco 2022 : Baracoa

 

 Le film  de Pablo Briones est sans doute le film le plus décevant parmi ceux que j'ai eu l'occasion de voir au festival. Les deux gamins sont incontestablement craquants et donnent l'impression d'êtres simplement eux-mêmes, mais c'est peut-être là le problème. Leonel et Antouan sont juste deux enfants en vacances qui glandouillent toutes la journée à la limite de l'ennui. Un ennui qui finit par gagner le spectateur qui attend en vain le début d'une histoire. Bien sûr en arrière plan il y a Cuba, un pays désaffecté comme la piscine où les gamins vont chercher des têtards, mais ce n'est pas suffisant. Le cinéma cubain nous a habitué à beaucoup mieux et même si le ton est juste et l'environnement réaliste, cet éloge de l'amitié m'a laissé sur ma faim. 

Le film est produit par The moving picture boys, qui se définissenr eux-mêmes comme des réalisateurs de "non-fiction narrative", un concept un peu flou et dans le cas de Baraoca une "narration" un peu molle.


Ojoloco 2022 : 98 segundos sin sombra

 Le film de Juan Pablo Richter au titre étrange a tout d'une chronique familiale et d'un roman d'apprentissage. Genoveva a 16 ans, un père brutal et peu fiable, une mère neurasthénique,  un petit-frère soit-disant "pas normal", une grand-mère mourante. Sa meilleure amie est anorexique et les filles de son école religieuse la harcèlent.... Pas facile de devenir adulte dans un tel environnement et l'on s'inquiète de voir la jeune-fille tomber sous l'emprise d'un gourou.

Le réalisateur joue avec le réalisme d'une situation peu avenante, les visions "intergalactiques" de Genonveva, sa manie de décompter les secondes lorsque la situation est "à risque", ses cauchemars. Non il n'est pas facile d'avoir 16 ans, en Bolivie ou ailleurs mais Gennveva finalement s'en tire plutôt bien.



08 avril 2022

Ojoloco 2022 : L'arbol rojo


 Ils sont trois à prendre la route. Tous les trois aussi démunis l'un que l'autre. Le père d'Esperanza vient de mourir. Un ami la conduit chez son frère, Eliecer, un bougon solitaire nettement plus âgé, qui n'a aucune envie de se charger de la gamine et décide de la déposer chez sa mère à Bogota. Depuis Rincon del Mar la route est longue surtout lorsqu'on n'a pas d'argent et que l'on se fait dépouiller dès la première étape. Le troisième personnage, Tono est un jeune homme qui rêve de devenir boxeur.

Le voyage est évidemment semé d'embûches, et le réalisateur, Juan Gomez Endara, alterne avec entrain bonnes et mauvaises rencontres, les plus inquiétantes étant les soldats, côté officiel ou côté guerilla ! Le périple ne dure que quelques jours mais c'est assez pour suggérer que la vie en Colombie est loin d'être facile et peut-même être très dangereuse. Faire cheminer des personnages aussi différents qu' Esperanza, Eliecer et Tono n'a rien de très original il est vrai mais le trio fonctionne parfaitement et chacun au fil du voyage fait un pas vers les autres si bien qu'au final le film est plutôt réconfortant. Sans excès d'optimisme il suggère que l'on peut malgré les difficultés ne pas désespérer tout à fait de l'humanité.


07 avril 2022

Ojoloco 2022 : Mis hermanos suenan despiertos


 L'affiche a beau être lumineuse, le film de Claudia Huaiquimilla ne l'est pas vraiment, mais c'est certainement un des meilleurs films de la compétition et l'un des plus engagés. En effet l'histoire de ces adolescents, qui se mutinent et démarrent un incendie dans l'espoir de s'évader de la prison où ils sont détenus, est basé sur un fait réel qui a fait la une des journaux au Chili sans toutefois modifier en rien les conditions de détention de ces gamins. La réalisatrice espère d'ailleurs profiter du récent changement politique pour obtenir une modification de la loi; elle espère que son film permettra non seulement de faire connaître les faits, mais surtout de dénoncer une situation inadmissible. 

En centrant son film autour de deux frères, dont on ne saura jamais précisément pourquoi ils ont été placés dans cet établissement, si ce n'est une situation familiale difficile, et dont ne sait pas pour combien de temps ils seront détenus, suscite rapidement l'empathie du spectateur. La réalisatrice parvient - et la réussite du film tient sans doute à cela - à maintenir un équilibre  entre les côtés les plus noirs de la détention, et les liens qui existent d'emblée entre les deux frères, l'aîné étant particulièrement protecteur de son cadet, mais aussi entre les détenus, une espèce de solidarité amicale qui conditionne leur survie dans la mesure où elle les empêche de sombrer dans le désespoir absolu. 

Mis hermanos suenan despiertos est un film poignant, très réussi que sa réalisatrice défend avec une belle conviction et dont on espère qu'il sera rapidement diffusé en dehors du cercle restreint des festivals.


Ojoloco 2022 : Compétition officielle

 Après quelques films à la tonalité plutôt sombre, un film passablement déjanté apporte un répit bienvenu dans ce festival de films espagnols et sud-américains !

Et quelle affiche  pour Compétion officielle ! Penélope Cruz, en réalisatrice brillante et foldingue qui tente de maîtriser deux acteurs à l'ego surdimensionné et aux personnalités radicalement opposées, interprétés par Antonio Banderas en séducteur de bas étage qui excelle dans le cinéma d'action et Oscar Martinez,  au jeu aussi sobre qu'intériorisé. Tout les sépare, leur manière de jouer, leur carrière, leur vie personnelle...

L'imagination de Mariano Cohn et Gaston Duprat est sans limite quand il s'agit de montrer d'une part les extravagances auxquelles peuvent se livrer les réalisateurs - en l'occurrence une réalisatrice à laquelle on a donné carte blanche,  et d'autre part ce à quoi peut mener la rivalité entre deux acteurs. La caricature tourne souvent à la farce; tout pourtant dans ce film sonne juste. Drôle et vrai à la fois.


06 avril 2022

Ojoloco 2022 : Carajita

 Après Una pelicula sobre parejas, Carajita est le deuxième film de la République dominicaine proposé par Ojoloco. Un film d'une structure plus classique que le précédent,  sur un thème que l'on retrouve souvent dans le cinéma latino, celui des relations entre les classes sociales, d'autant plus tendues lorsqu'il s'agit d'une nounou et de la famille qui l'emploie parce que la relation est alors de l'ordre de l'intime. 

Silvina Schnicer et Ulises Porra traitent le sujet de façon frontale : Yarisa la nounou est noire, Sara, la jeune fille qu'elle a élevée et qui lui est très attachée est blanche. Elles ont ensemble un très joli rapport fait de tendresse et de complicité. Mais Yarisa a une fille, dont elle n'a pas pu s'occuper.  Lorsqu'à la suite d'un déménagement les deux jeunes-filles se rencontrent elles sympathisent immédiatement, malgré la différence de classe. Mais tout bascule lorsque survient l'accident.


 C'est à partir de là que le film gagne en force parce qu'il souligne d'une part l'hypocrisie de la famille riche dont la compassion feinte ne suffit pas à cacher la priorité donnée à la défense de ses intérêts. Mais il montre surtout l'ambivalence des sentiments de la nourrice, déchirée entre l'enfant qu'elle a élevé et l'enfant de son propre sang. Bien que le sujet ne soit pas totalement neuf, le film le renouvelle avec suffisamment de finesse pour laisser le spectateur dans une certaine ambiguïté.
Et le pousse à s'interroger sur la véritable nature du sentiment maternel.

05 avril 2022

Ojoloco 2022 : Jesus Lopez

Il s'appelle Abel. Son cousin s'appelait Jesus; "s'appelait" parce qu'il est mort dans un accident de voiture, une de ces courses-défis dont raffolent les adolescents.  Abel comme toute sa famille porte le deuil de Jesus,  totalement obsédé par son charisme et la place qu'il occupait auprès de ses copains, jusqu'à peu à peu s'imaginer le remplacer. Adolescent visiblement mal dans sa peau, Abel cherche sa place dans le monde, se demande de quoi il est capable .... 

Le film de Maximiliano Schonfeld dit bien le malaise de l'adolescence, mais je ne sais pourquoi le film ne m'a pas vraiment séduite. Trop d'insistance sur la mélancolie morbide d'Abel peut-être ? Ou simplement trop de bruits de moteurs. 







04 avril 2022

Ojoloco 2022 : Utama

Ils sont vieux, ils sont seuls et ils habitent une misérable maison sur un plateau désertique en Bolivie. La sécheresse rend chaque jour leur vie plus difficile;  il faut marcher de plus en plus loin pour ramener deux misérables seaux d'eau et faire paître le troupeau de lamas. Mais Virginio et Sisa n'ont pas connu d'autre vie et ne veulent pas en changer, surtout pas Virginio qui sait sa mort proche.  Leur petit-fils, venu les convaincre de rejoindre la ville se heurte à l'intransigeance du vieil homme. 

Le film d' Alejandro Loayza Grisi est, malgré son âpreté, un très beau film, parce qu'il montre certes les conditions précaires dans lesquelles vit ce couple, mais il montre aussi la tendresse qui les unit, une tendresse faite de peu de mots, de peu de gestes : après tant de temps à vivre ensemble, un regard leur suffit pour se comprendre. Utama dit aussi l'obstination à rester debout, à ne pas fléchir devant la mort qui approche, à aller jusqu'au bout de sa vie aussi misérable soit-elle.  

"Le soleil ni la mort ne se peuvent regarder fixement" écrivait La Rochefoucauld. La première image du film - un homme qui marche face à un ciel enflammé par le soleil -  suffit à le contredire.

        

03 avril 2022

Ojoloco 2022 : Employé Patron



 Chacun sur son cheval. L'un porte une casquette, l'autre un béret, ce qui ne fait pas une grande différence. Ils ont chacun une femme et un  enfant à peu près du même âge. Oui, mais l'un est l'employé, l'autre le patron. Et un monde les sépare. 

Le cinéma d'Amérique latine - en tout cas celui qui parvient jusqu'en Europe - aborde souvent la questionn des classes sociales, en soulignant à la fois la proximité des individus et leur éloignement, voire leur absence totale de compréhension. Ce qui est effectivement le cas dans le film de Manuel Nieto Zas, un réalisateur uruguayen. 

Le jeune héritier n'est pas antipathique et on le voit se débattre avec ses propres soucis, à la fois familiaux et professionnels. Il est plutôt dans le compromis et cherche à trouver une solution satisfaisante pour tous, y compris quand un drame survient. Mais il n'est pas question pour autant de mettre en jeu les intérêts financiers de la famille, qui est de toute façon là pour veiller au grain et qui a tous les moyens de se défendre. 

Manuel Nieto Zas évite habilement le piège du manicheïsme, mais sa position n'en est pas moins claire. En Uruguay ce sont encore et pour longtemps les propriétaires terrains qui mènent le jeu. C'est en tout cas ce que dit son film, d'une facture toute classique, sans recherche formelle excessive, mais avec un jeu d'acteurs très convaincant.

Ojoloco 2022 : Le Grand mouvement

 Le film est sombre. Très ! Mais pas inintéressant, malgré son côté "cinéma de recherche". Il est sans doute un peu difficile à suivre parce que son réalisateur, Kiro Russo, a voulu courir plusieurs lièvres à la fois. 

On suit ainsi l'errance dans la ville de trois mineurs qui ont perdu leur travail. L'un d'eux, Elder est sévèrement malade.  C'est le côté social du film et la dénonciation des conditions de travail des mineurs boliviens. A ce premier trio s'ajoute un personnage mystérieux, sorte d'illuminé, guérisseur peut-être, qui croise le chemin des autres, un peu par hasard ou mené par le destin ? Et puis surtout il y a La Paz, ce labyrinthe au milieu des montagnes,  avec un spectaculaire premier plan, un long travelling qui fait glisser le spectateur depuis les sommets environnants jusqu'au coeur du dédale urbain. Scènes de rue, scènes de marché, une population toujours en mouvement, de jour comme de nuit ou sous la pluie, comme les personnages principaux, sans que l'on comprenne toujours le sens ou la raison de leurs déplacements.



02 avril 2022

Ojoloco 2022 : Una pelicula sobre parejas

Du genre expérimental, le film de Natalia Cabral et Oriol Estrada est d'abord une rareté en provenance de la République dominicaine et un film dont on peine à trouver l'entrée parce qu'il en propose au moins trois. 

Ce pourrait être un film documentaire sur le "make of " d'un film, de sa conception à sa réalisation en passant par son financement. 

C'est de toute évidence un film autobiographique puisque les deux réalisateurs se mettent en scène dans leur vie de couple avec enfants, avec quelques scènes sur le rapport de force homme/femme plutôt bien vues. 

C'est enfin un film qui emprunte ses codes à la télé-réalité et met le spectateur face à l'incertitude des intentions de ces acteurs/réalisateurs.

 Ce n'est pas toujours passionnant puisqu'aucun des pataugements du couple de créateurs n'est épargné au spectateur et que le film donne parfois l'impression d'un grand fouillis mal abouti, mais n'est-ce pas justement cet espace créatif que Natalia Cabral et Oriol Estrada ont voulu montrer, les tâtonnements, le brouillon, la face cachée du produit fini, que d'habitude on ne montre pas.  La création en cours d'élaboration. Et cela, c'est tout à fait passionnant.


01 avril 2022

Ojoloco 2022 : El Buen Patron

Un film très primé nous a-t-on dit. Parfait pour un film d'ouverture d'autant que cette année le festival renoue avec les grands écrans. La salle était pleine évidemment et à la sortie les mines étaient plus que réjouies.

 

Il est vrai que le film de Fernando Leon Aranoa est particulièrement réjouissant et que Javier Bardem  dans le rôle d'un patron à la fois paternaliste et cynique est excellent. Slogans de bon tons sur les murs, fierté d'une réussite familiale qui remonte à plusieurs génération, discours lénifiants, générosité affichée ...  à première vue l'entreprise mérite bien le prix d'excellence auquel elle aspire. Mais il y a évidemment un grain de sable qui fait pencher la balance, et rompt le bel équilibre. Le film est mené tambour battant avec sa cohorte de personnages à peine caricaturés. Quelques histoires de c... pour compléter le tableau car le maître fait bien entendu main basse sur les jeunes et jolies stagiaires. Bref, la vie banale d'une PME.

 Rire ou grincer des dents, ce sont les deux options que vous laissent le film. J'ai choisi le rire. Un peu jaune parfois. Parce que l'aplomb et le cynisme du "bon patron" sont à peine outranciers.