20 janvier 2020

William Melvin Kelley, Un Autre tambour


Voici un écrivain américain qui, je ne sais pourquoi, est totalement sorti des radars depuis plus de 50 ans. Il a fallu le hasard et l'obstination d'une journaliste pour que son oeuvre soit redécouverte. C'est chose faite, même en France puisque les éditions Delcourt viennent de rééditer le roman que Kelley a publié en 1962 : Un autre tambour. Premier roman à 24 ans et déjà un coup de maître.


Dans un Etat du Sud des Etats-Unis, parfaitement géo-localisé, mais jamais nommé, la population noire soudain s'en va. Le premier à partir est Tucker Caliban, qui répand du sel sur ses champs, abat ses animaux, brûle sa ferme  et quitte la ville. Définitivement. Dans les jours qui suivent, l'exode est général. En charrette, en bus ou à pied, tous ils partent. Et la population blanche, comme le lecteur s'interroge.

Un autre tambour est un superbe roman polyphonique, puisque l'auteur donne tour à tour la parole à chacun des témoins "blancs" de cet exode massif. Les Noirs quittent la ville sans rien dire. Ce sont donc les Blancs qui essayent de trouver une explication à quelque chose qu'ils ne comprennent pas, ce sont eux qui par leurs propos, leurs comportements, donnent du sens à ce qui, vu de l'extérieur, n'en a pas. En multipliant les points de vue (autant de personnages, autant de chapitres), William Melvin Kelley parvient à rendre compte des mentalités sans tomber dans la caricature parce que chacun, dans la vie comme dans ce roman, réagit en fonction de sa propre expérience, de son propre empan de vie. Le défi pour le romancier noir est d'arriver à penser comme ses personnages blancs. Et paradoxalement, ce sont ces réflexions "blanches" qui permettent au lecteur de mieux comprendre, s'il est possible, le vécu, le ressenti de la ségrégation.

William Melvin Kelley a placé en exergue de son roman une phrase de H.D. Thoreau, chantre de la désobéissance civile : " Quand un homme ne marche pas du même pas que ses compagnons, c'est peut-être parce qu'il entend battre un autre tambour. Qu'il accorde donc ses pas à la musique qu'il entend, quelle qu'en soit la mesure de l'éloignement. " Mais c'est moins à Thoreau que j'ai pensé en lisant le livre, qu'à Ernest Gaines qui 20 ans plus tard,  en 1983, publiera Colère en Louisiane

En tout cas, maintenant que William Melvin Kelley a été re-découvert, il ne reste plus qu'à attendre que les Editions Delcourt publient d'autres titres. A moins de se les procurer en anglais...



L'article du New-Yorker
https://www.newyorker.com/magazine/2018/01/29/the-lost-giant-of-american-literature 

L'article du Monde
https://www.lemonde.fr/livres/article/2019/10/20/un-autre-tambour-comment-l-ecrivain-afro-americain-william-kelley-sort-de-l-indifference_6016218_3260.html

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