02 août 2025

Judith Perrignon, Nous nous parlons d'un lieu où tout est fragile


 

 

Les livres de Judith Perrignon continuent de me séduire par leur intelligence, leur sens de l'humain et la clarté de l'écriture. Son dernier livre fait une fois de plus la preuve de ses qualités, de journaliste au départ et surtout d'écrivaine. 

Rachid est un homme de 88 ans, rencontré à l'occasion d'un atelier d'écriture dans un centre d'hébergement d'urgence. Une vie commencée sous les bombes américaines en Algérie, poursuivie en France, à Marseille, Saint-Etienne, Belfort, Paris ... une ville trimballée à droite et à gauche jusqu'à ce foyer où il a trouvé refuge. Une vie avec des rêves, comme toutes les vies, mais encore plus de déceptions, une vie qu'il faut accepter malgré tout. De cette vie Rachid ne garde que des bribes, mais Judith Perrignon en fait un tout, entre mélancolie et poésie. Une centaine de pages seulement pour une vie qui, sans elle, serait passée inaperçue. Comme tant d'autres.   

27 juillet 2025

Dörte Hansen, Quelque part en mer

 

Quelque part en mer.... au vu de la couverture on s'attendrait presque à un roman animalier, ou tout du moins à une histoire de marins perdus en mer. On pense à Melville peut-être, à Hemingway, ou à tous les récits de navigateur dont on se gave en attendant, à notre tour, de partir en mer....

On ouvre rarement un livre sans avoir une attente, comme une rêverie préliminaire. Et c'est tant mieux si les premières pages nous emmènent loin de ce que l'on avait imaginé.

Le "quelque part en mer" de Dörte Hansen, c'est en fait une île de la mer du Nord, "entre Jutland, Frise et Zélande " mais ce pourrait être Ouessant ou n'importe quelle île battue par la mer et les vents. Et ce dont parle le livre, c'est de la vie des îliens, une vie simple, ordinaire, mais aussi rude et parfois tragique. Il y a quelque chose d'austère dans l'écriture de Dörte Hansen, qui colle parfaitement aux lieux et aux personnages. Quelque part en mer n'est pas un roman à suspense qui multiplie les péripéties, non, plutôt une chronique familiale qui permet d'imaginer la vie sur l'île. Un famille dont la vie tourne forcément autour de la mer, qu'on s'en nourrisse, qu'on s'en accommode ou qu'on la haïsse.  Malgré les apparences, ce n'est pas un roman d'autrefois, mais bien un roman d'aujourd'hui où les estivants d'hier ne sont plus désormais que des touristes, parce que le ferry qui relie l'île au continent permet de partir et de revenir, et que l'île n'est plus tout à fait un lieu clos coupé du monde, un enfermement, mais un choix. 

Quelque part en mer est un roman suffisamment dépaysant pour donner envie d'aller voir à quoi ressemblent ces îles et ces plages de la mer du Nord.  

22 juillet 2025

Emmanuel Ruben, Sur la route du Danube

C'est un très long voyage, plus de 2000 km qu'Emmanuel Ruben et Vlad ont entrepris pour remonter le Danube, depuis son embouchure jusqu'à sa source, "depuis la mer noire jusqu'à la forêt noire". A vélo. 

 

Un récit de voyage en tous points passionnant parce que son auteur, bien que cycliste inconditionnel ne fait pas de ce voyage un exploit sportif, bien au contraire, on le voit étape après étape peiner, suer, souffler, s'épuiser. Non, le vélo est juste un moyen de transport qui lui permet de rester au plus près du fleuve et surtout au plus près des gens. De préférence les "petites gens" des "petites villes", parfois juste des villages, des hameaux oubliés de l'Europe. Des gens avec qui on partagent une bière, une blague, une confidence.  Parce que le vrai sujet du livre, c'est moins le Danube que l'Europe; pour Emmanuel et son comparse, le fleuve n'est au fond qu'un prétexte à une traversée de l'Europe : Roumanie, Bulgarie, Serbie, Croatie, Hongrie, Autriche, Allemagne ...Sept pays traversés, plus Odessa et le Sud de l'Ukraine car il fallait bien atterrir quelque part pour commencer le voyage. 

 Géographe de formation, Ruben se lance dans une entreprise d'arpentage qui l'amène à parler des paysages, de leur formation, des reliefs, de la végétation, et plus encore des populations, de leur installation dans le paysage et donc de leur histoire. Il ne manque aucune église, aucun musée, si modeste soit-il, aucun monument, et surtout il parle et fait parler les gens qu'il rencontre. Car l'histoire et la géographie comptent moins finalement que les hommes et les femmes qui en subissent les aléas. 

De page en page et de chapitre en chapitre, on s'étonne de tant d'érudition - jamais pédante - et de l'aisance avec laquelle l'auteur transcrit ses observations, ses réflexions pour mieux faire pénétrer le lecteur au coeur de cette Europe qui deviendra peut-être un jour une véritable communauté européenne, mais ne l'est pas encore. Et qui en attendant, se hérisse de plus en plus de barrières et de barbelés. Au fil du voyage, l'empathie de l'auteur pour les pays traversés au début du voyage, fait place à une ironie parfois mordante à partir du moment où il traverse les trois derniers pays de son périple : Hongrie; Autriche et le Sud de l'Allemagne. Autant il était indulgent, et même compatissant vis à vis des populations des Balkans, autant on sens son poil se hérisser dès qu'il aborde l'Europe que l'on dit centrale. Histoire d'affinités sans doute avec les plus humbles, avec ceux qui n'ont rien. Du côté des dominés plus que des dominants, surtout quand ils s'enferment dans leurs certitudes. 

La route du Danube que nous invite à suivre Emmanuel Ruben est finalement aussi politique qu' historique ou géographique ou plus exactement mettons que la géographie et l'histoire de la Danubie expliquent en grande partie les orientations politiques des pays qui longent le fleuve. Tout ça depuis la selle d'un vélo ! 

 

21 juillet 2025

Eddigton

 Ce doit être le Stetson sur la tête de Joachim Phoenix qui pousse les critiques à parler de western. Mais non, Eddington n'est pas un western, pas vraiment un polar non plus, juste un film d'un genre pas très défini, qui fait le tour de tous les problèmes qui menacent la démocratie américaine. Cela commence par des disputes à propos du port du masque et des vaccins, complotistes et illuminés à l'affut, cela continue avec le racisme endémique, mais de plus en plus insupportable, les manifestations et l'éveil à la conscience politique des "blancs privilégiés", les droits tribaux constamment bafoués, les violences sexuelles et pour aggraver le tout, l'omniprésence des téléphones qui permettent à chacun de poster n'importe quoi - mais toujours hors contexte - sur les réseaux sociaux... l'énumération n'en finit pas, mais se résume en deux mots "fanatisme" et surtout "bêtise". Voilà pourquoi le film joue en permanence sur l'excès, le manque de retenue, tourne parfois au grand guignol et se termine dans une apothéose de violence. 

Je n'ai vu aucun des précédents films de Ari Aster, connu pour jouer sur l'horreur et le fantastique. Mais ce qu'il donne à voir de l'état de l'Amérique m'a paru terriblement réaliste, d'autant qu'il le situe non pas dans une des villes comme Los Angeles ou Chicago régulièrement traversées par des accès de violence, mais dans une petite ville, certes imaginaire, du Nouveau Mexique. Une petite ville tranquille où d'habitude il ne se passe rien. Mais là, d'un seul coup, tout dérape et il n'y a pas de retour en arrière possible. Le cauchemar des années à venir ? Pour Eddington, Ari Aster a peut-être renoncé au fantastique mais certainement pas à l'horreur : celle d'une société totalement chaotique, sans repères communs, où chacun est persuadé de tenir la vérité et s'enferme dans une bulle paranoïaque, où plus personne n'essaye de comprendre personne et finit par croire que seules les armes résoudront le problème. "Stop the world, I want to get out... " Mais ouf, ce n'est que du cinéma n'est -ce pas ?  Ou bien ....

13 jours, 13 nuits

Enfin un film d'action ! En tout cas un film qui n'est pas centré sur les problèmes d'un seul individu, mais carrément sur les malheurs du monde, puisqu'il s'agit de l'évacuation de l'ambassade de France de Kaboul en août 2021. 

13 jours, 13 nuits c'est long quand vous avez la charge de filtrer et d'évacuer au plus vite des milliers de personnes qui ont envahi le territoire de l'ambassade dans l'espoir de fuir le régime des talibans. Mais 13 jours, 13 nuits c'est aussi très court parce qu'il y a tant à faire, tant à organiser, tant à prévoir et que l'Elysée tarde à répondre, tarde à donner le feu vert alors que la situation s'aggrave de jour en jour. 

Rien de neuf sous le soleil : Saïgon, Phnom Pen, Téhéran ... les films, les livres, mais surtout les reportages nous ont hélas habitués à cette débandade frénétique de tous ceux qui essayent de fuir un pays parce qu'ils savent que rester c'est à coup sûr la prison et sans doute la mort. Et bien que le déroulé de l'action soit connu ou au moins prévisible, Martin Bourboulon, le réalisateur parvient à maintenir une tension constante dans son film qui n'a rien à voir avec le suspense d'un film d'action ordinaire, mais tout à voir avec la tragédie en train de se dérouler sous nos yeux. Pour les hommes chargés de l'évacuation il faut parer à tous les dangers, rassurer mais aussi bloquer une foule en panique, mesurer les risques, mais aller au-delà quand même, être prêt à utiliser les armes, mais négocier jusqu'au bout. Le succès de l'opération repose sur le Commandant Mohamed Biba,  à 15 jours de sa retraite, mais en choisissant de mettre en avant un certain nombre de personnages secondaires, le cinéaste évite l'écueil de l'hagiographie. On sort du film, un peu secoué, parce que l'évacuation de l'ambassade de Kaboul,  ce n'est pas seulement du cinéma, c'est tout simplement de l'histoire. Une histoire très récente. 


 

16 juillet 2025

Loveable

 Encore un film norvégien, encore une histoire d'amour, encore une histoire de couple ... c'est l'été qui veut cela ?

Le film de Lilja Ingolfsdottir fait irrésistiblement penser aux films de Bergman puisqu'il s'agit d'une plongée profonde dans la psychée d'une personne et dans la dissolution progressive et irréversible d'une histoire d'amour qui avait commencée comme une relation fusionnelle. Pourquoi pas. Le film est plutôt bien fait, pas statique du tout; plutôt bien joué  par les personnages principaux autant que par les personnages secondaires. Oui mais .... dans cette histoire, c'est surtout au comportement de la femme que l'on s'intéresse, à ses exigences, ses doutes, son manque de confiance, sa fragilité, pour expliquer l'échec du couple. Coupable, forcément coupable ! Ben non ! Il faudrait pour équilibrer cette histoire un deuxième film, avec un point de vue aussi empathique sur les erreurs et les insuffisances du mari. 


 

14 juillet 2025

La Venue de l'avenir

 Une remontée généalogique entre 2025 et 1885. Autres temps autres moeurs, évidemment.  Avec de surcroît un alibi culturel (la peinture, la photographie) et touristique (Paris, ville lumière, la Normandie, le jardin de Giverny, ... ), sans oublier la nostalgie (?) des maisons closes. Décorateurs et costumiers ont dû se régaler. Le film de Klapish,  un peu trop fourre-tout et pas vraiment subtil, ne m'a pas emballée. Mais par temps de canicule, le salles de cinéma sont des havres de fraîcheur ! 


 

13 juillet 2025

La trilogie d'Oslo : Rêves

Rêves est le premier volet de la trilogie d'Oslo,  un projet ambitieux du cinéaste norvégien  Dag Johan Haugerud. Est-il assez convaincant pour me donner envie d'aller voir les deux autres volets ? Je n'en suis pas certaine. Certes il exprime avec une certaine justesse les émotions d'une adolescente, tombée amoureuse d'une de ses enseignantes, et leurs répercussion sur sa mère et sa grand-mère, féministes toutes les deux, mais pas de la même façon. Quatre portraits de femmes donc, à des âges différents de la vie, plutôt bien vus. Les attitudes, les sentiments, les dialogues, tout est bien observé et parfaitement rendu. Mais voilà, cela fait au final beaucoup de mots, beaucoup de phrases et il m'a toujours semblé que si le théâtre est bien le lieu de la parole, celui du cinéma est prioritairement celui de l'image et du mouvement. Oui, je suis un peu bornée sur sur ce point !  Ceci dit et malgré mes préjugés, Rêves est certainement un film passionnant pour qui s'intéresse à la psychologie des individus, des femmes en particulier et d'une certaine façon à l'évolution de la société. 


 

12 juillet 2025

Aharon Appelfeld, La Ligne

Depuis que le film La Chambre de Mariana est sorti, on parle beaucoup de cet écrivain né en Roumanie, en 1932, rescapé des camps, réfugié en Israël depuis 1946 et considéré comme un écrivain majeur de la Shoah. Histoire d'une vie, paru en français en 2004 était plus classiquement autobiographique que La Ligne, écrit en 1991 et publié en français en mars de cette année. Mais si La Ligne emprunte un peu plus au genre romanesque, puisque le narrateur est un homme qui refait inlassablement depuis des années le même circuit en train à la poursuite de l'homme responsable de la mort de ses parents, les éléments biographiques sont toujours là, en arrière-plan. . Les paysages défilent; les gares, les pensions où le narrateur revient toujours, les gens qu'il retrouve régulièrement au rythme des ses voyages soulignent le côté obsessionnel d'une mémoire qui ne parvient à oublier ni la permanence de l'antisémitisme, ni le renoncement au communisme. La Ligne ressemble à un récit de voyage, mais un voyage en boucle; ressemble aussi à un polar, puisqu'il s'agit de retrouver un assassin; mais c'est plus encore un texte qui, sous des dehors romanesque, pousse à réfléchir sur ce que signifie être juif, dans un siècle qui après tant de pogroms a connu la Shoah. 


 

11 juillet 2025

Le Jardin d'été

Le film de  Shinji Somai et Yozo Tanaka date de 1994. Je l'aurais su avant de voir le film, j'aurais peut-être été plus indulgente.  Mais dès les premières images j'ai été désagréablement surprise par la qualité de la pellicule, genre Kodachrome un peu trop saturé. De plus, si le point de départ - la curiosité des enfants vis à vis de la mort - était intéressant, et a conduit l'improbable trio à espionner un vieillard, puis se lier d'amitié avec lui jusqu'à en faire le meilleur compagnon de leur été, je me suis assez vite lassée d'un thème un peu trop rebattu (le vieillard et l'enfant), qui n'avait de neuf que d'être japonais. Mais ce qui m'a surtout gêné dans ce Jardin d'été, c'est le jeu des gamins, à commencer par un casting caricatural : petit avec des lunettes, obèse et juste normal souligné de surcroît par les surnoms dont ils écopent.  J'avoue avoir toujours un peu de mal avec les enfants-acteurs, mais ceux-là vraiment, m'ont rappelé ... La guerre des boutons (!) sans doute à cause du plu petit, véritable moulin à parole. Entre allergie épidermique et attendrissement, j'ai hélas penché du côté de l'agacement. 


10 juillet 2025

La soif du mal

Parmi les plaisirs de l'été, il y a les "reprises" de film un peu oubliés, ou de grands classiques qui n'étaient pas ressortis depuis longtemps. 

Fan inconditionnelle d'Orson Welles (à égalité avec Kübrick !), j'avais néanmoins achoppé sur La Soif du mal, vu plusieurs fois, mais qui m'avait paru trop confus pour être convaincant. La version proposée aujourd'hui est non seulement restaurée, mais modifiée pour correspondre non plus au projet mercantile des producteur, mais aux intentions de Welles.  Furieux des modifications apportées au montage par le studio, celui-ci avait rédigé une note de 58 pages pour préciser les changements à apporter. La version présentée actuellement tient compte de ce document et le résultat est époustouflant. J'ai enfin trouvé le film clair - bien que la complexité de l'intrigue demande toute l'attention du spectateur - et franchement éblouissant : la pertinence des mouvements de caméra, la perfection des cadrages, des gros plans qui enferment les personnages et font monter l'angoisse, l'alternance des scènes d'intérieures, et plus rares de scènes urbaines, avec un travail sur la lumière qui donne au noir et blanc toute sa force. Un film d'Orson Welles, c'est souvent un dilemme moral, mais c'est avant tout une aventure visuelle totalement maîtrisée, par le réalisateur et son équipe.  

S'il y a un film à ne pas manquer cet été, c'est bien celui-là. Mais attention, il n'y a pas tant de séances que cela.  Et c'est sur grand écran qu'il faut le voir, c'est dans les salles obscures qu'il éblouit. 

 


 

 

21 juin 2025

Soviet Jeans


Soviet jeans est une série assez drôle sur un sujet qui l'est nettement moins. En Lettonie, à la fin des années 70, encore sous contrôle soviétique, un jeune costumier récupère des jeans achetés aux touristes pour les revendre au marché noir. Inévitablement, il tombe amoureux de la jeune femme venue mettre en scène une pièce au théâtre de Riga; un jeune cadre ambitieux du KGB, par rivalité plus que par idéologie parvient à le faire arrêter et enfermer dans un hôpital psychiatrique où avec l'aide de ses compagnons d'infortune il va monter un business à grande échelle. Au nez et à la barbe de certains, mais avec la complicité de quelques autres. Système D et corruption. 

Huit épisodes, il n'en faut pas moins pour montrer la débrouillardise des uns, face à la stupidité des autres qui ont hélas à leur disposition tout un système oppressif et répressif: écoutes, filatures, menaces et pour finir enfermements psychiatrique, avec à la clé camisoles médicamenteuses et électrochocs. Mais le pire, c'est sans doute la méfiance de tous vis à vis de tous dans un système où tout le monde est espionné et tout le monde espionne, par contrainte et non par choix, car d'idéologie il n'est pas vraiment question. Mais de déviance politique et de déni démocratique, oui, tout à fait. 

On rit bien sûr dans cette série, un rire de soulagement, car la Lettonie c'est loin et 1979 c'est de l'histoire ancienne. Pourtant sommes nous tellement sûrs de notre démocratie, de notre liberté d'expression, de l'égalité de tous devant la loi etc. etc. ? 

En replay sur Arte.  

20 juin 2025

Enzo

Une belle villa avec piscine, une "villa de milliardaire", mais ce n'est pas la piscine d'Enzo, c'est la piscine de ses parents. Et bien que son père et sa mère soient très attentifs au malaise de leur gamin, Enzo ne trouve pas sa place dans cette famille marquée de tous les signes de la réussite. Alors il s'engage comme maçon et se confronte à un autre monde, plus simple, mais aussi plus brutal, plus précaire. Plus vrai peut-être, et plus ouvert sur le monde puisqu'il y côtoie des maçons ukrainiens qui ont fui la guerre. 

Le film que Laurent Cantet n'a pas pu réaliser et dont son co-scénariste, Robin Compillo a pris en charge le tournage, témoigne du regard aiguisé que les deux cinéastes portent sur la société, sans se laisser enfermer dans des clichés pourtant très à la mode sur le mal-être des transfuges de classe. Enzo est bien un transfuge, mais un transfuge à rebours puisqu'il récuse le milieu "bourgeois" de sa famille et choisit, contre l'avis même de ses parents, de renoncer à une trajectoire pourtant à sa portée, pour se rapprocher des classes dites populaires. 

La réflexion sociale, se double pour Enzo, d'une réflexion sur l'identité sexuelle, une deuxième thématique qui n'était peut-être pas indispensable, mais qui contribue à complexifier le personnage et à montrer que le passage à l'âge adulte, est pour certains adolescents, une vraie remise en question de leurs valeurs, sexuelles, sociales, politiques. Une vraie mise à l'épreuve, particulièrement chaotique dans le cas d'Enzo.


19 juin 2025

Akira Yoshimura, Le Convoi de l'eau

 


 Ce n'est pas une nouveauté. Et l'auteur, Akira Yoshimura n'est pas un inconnu du moins au Japon. Publié en 1976, le livre n'a été traduit en français qu'en 2009. 

C'est une histoire étrange  ou du moins inhabituelle autour du chantier de construction d'un barrage dans une vallée reculée et difficilement accessible, au milieu des montagnes. Un village existe pourtant ou des paysans vivent là depuis toujours, indifférents aux transformations que leur environnement est en train de subir.  

Le convoi de l'eau est un roman à la fois très réaliste - le chantier - et quasiment ethnologique - le village et ses habitants que le narrateur, ouvrier sur le chanter, observe intensément. Il ne s'agit pas vraiment d'une confrontation, tout au plus d'une juxtaposition de deux mondes antinomiques. Celui de la tradition, imperturbable et celui de la modernité, souvent destructrice au nom même du progrès. De quoi, dans un premier temps, intriguer le lecteur avant de le faire réfléchir. 

18 juin 2025

A normal family

 Les films coréens ont la réputation d'être souvent violents. Le film de Jin-Ho-Hur comporte effectivement quelques scènes de violence, mais il propose surtout une réflexion sur la violence. 

Une famille normale donc, et le réalisateur prend le temps de bien mettre en place les 6 personnages principaux. Deux frères, l'un chirurgien, qui met ses compétences au service des autres,  au service des victimes; l'autre, un avocat qui n'hésite pas à défendre les coupables, pourvu que cela lui rapporte de l'argent. Deux frères qui, de toute évidence, ne partagent pas les mêmes valeurs ... 

Deux frères, deux compagnes et deux enfants adolescents... Oui le réalisateur prend le temps de montrer des personnages suffisamment complexe pour donner au spectateur tous les éléments qui vont lui permettre de mesurer les enjeux de la confrontation brutale qui finit nécessairement par arriver. Il s'offre même le luxe de mettre deux dîner au début et à la fin du film, l'un simplement hostile, rien n'est encore joué, l'autre où tout bascule. Il ne reste plus au spectateur qu'à s'interroger sur ce qu'il ferait lui-même, s'il se trouvait - ce que l'on ne peut souhaiter à personne - devant le même dilemme : comment réagir devant la violence de l'être humain et de la société en général. Comment réagir quand elle est le fait de votre propre enfant ? 

Je me souviens d'une nouvelle de Dino Buzzati qui mettait en scène, dans un jardin public, une mère et son petit garçon maltraité par les autres enfants et dont on n'apprend le nom qu'à la dernière ligne. Oui, même Hitler avait une mère ! et je me suis toujours demandé ce que des parents peuvent ressentir quand ils apprennent que leur enfant est un assassin. C'est bien la question que nous pose le réalisateur. Un film profond, mais glaçant.

17 juin 2025

Life of Chuck

 Je ne suis pas certaine d'avoir tout compris dans ce film qui évoque, en trois volets, la vie d'un certain Chuck qui meurt à 39 ans. Mais ce n'est pas grave parce que c e sont les images qui parlent ou plutôt qui suggèrent : au spectateur d'interpréter et de voir dans le film de Mike Flanagan, une tragédie : oui, la vie est une maladie mortelle, ou une comédie : on joue, on découvre, on apprend, on aime, on danse ... ah, la séquence de danse ! inoubliable !  Et je retournerai volontiers voir le film rien que pour elle ! 

La vie de Chuck c'est l'histoire banale d'un individu, qui naît, vit et meurt; mais c'est aussi, si l'on veut aller jusque-là, un film existentiel qui s'interroge sur la permanence ou l'impermanence de l'univers qui cesse d'exister chaque fois que meurt un individu.

Mais, quel que soit le niveau d'interprétation auquel chacun s'arrête, une chose est sûre, La vie de Chuck est un film dont on sort plein d'allant et la tête légère.

 



16 juin 2025

Ce nouvel an qui n'est jamais arrivé


Décembre 1989 ! Timisoara, Ceucescu, la révolution roumaine...  C'est déjà de l'Histoire, mais de celle que l'on n'oublie pas. Et le film de restitue à merveille l'atmosphère de ces jours qui ont précédé la chute du tyran. Mais pas seulement. Parce que c'est tout un climat d'interdits, de suspicion, de méfiance, qui était celui des pays sous domination soviétique. Bogdan Muresanu, pour son premier long métrage, propose au spectateur de suivre 6 personnages, qui s'efforcent de poursuivre une vie "normale" dans un climat de paranoïa totale devant les absurdités d'un régime dictatoriale. Montage alterné pour mieux suivre chacun des personnages et le Boléro de Ravel (un peu incongru il est vrai) pour mieux souligner la montée de la tension jusqu'à l'éclat final. C'est juste, c'est vrai et sur un écran assez drôle, bien que la réalité historique n'ait pas franchement prêté à rire. Mais avec le recul ...


Eowyn Ivey, Une Histoire d'ours

L'Alaska ! Trop loin, trop grand, trop froid, trop montagneux ... et puis franchement, l'Amérique en ce moment n'est pas vraiment fréquentable ... 

Une histoire d'ours, le deuxième roman d' Eowyn Ivey, est en revanche très fréquentable et très dépaysant, bien que sa lecture soit susceptible de causer quelques frissons. Parce que vivre dans une cabane isolée au milieu de la nature, une nature aussi sauvage que grandiose, est certes exaltant et une bonne partie du roman tente à en convaincre le lecteur. Mais l'isolement comporte aussi un certain nombre de dangers, surtout quand Birdie, sur un coup de tête, décide de gagner la forêt avec sa fille Amaleen, et de s'y installer aux côtés d'un homme du genre taciturne et pour tout dire bizarre qu'elle vient à peine de rencontrer. Birdie est une femme pleine d'énergie, une mère attentionnée et la petite fille est pleine d'initiatives. Ce qui devrait leur permettre de faire face à toutes les situations... ou presque. 

Voilà, le roman est lancé, et on ne le lâche plus  parce qu' Eowyn Ivey joue habilement de l'écriture des grands espaces si chère Gallmeister, son éditeur en France, et le fantastique, avec comme une envie de retour à l'état sauvage. La vie au plus près de la nature et des animaux, oui, mais avec un petit filet de sécurité quand même et un gentil vieil homme qui utilise son avion pour venir prendre des nouvelles et compléter l'avitaillement. On n'est aux Etats-Unis, en Alaska. pas dans les Carpates ...

 




14 juin 2025

Amira Ghenim, Le désastre de la maison des notables

Enfin un vrai roman "romanesque ". Plein de personnages, d'émotions et d'événements qui, bien que fictifs pour la plupart, s'accordent parfaitement avec la réalité ou plus exactement se mettent au service de la réalité pour mieux raconter l'évolution de la Tunisie des années 30 jusqu'au fameux "printemps arabe" de bien courte durée. 


Le pari d' Amira Ghenim est particulièrement audacieux, mais totalement réussi. Elle met au coeur du récit un personnage bien réel, Tahar Haddad, "intellectuel, syndicaliste et homme politique" dixit Wikipedia, un progressiste soucieux de l'évolution de la société tunisienne et partisan engagé "de la cause des femmes".     https://lepetitjournal.com/tunis/actualites/histoire-tahar-haddad-militant-feministe-avant-garde-53811

Mais  Amira Ghenim est bien trop maligne pour se contenter d'une biographie. Non ce qu'elle veut montrer, c'est comment la société tunisienne a réagi, a repris ou combattu les idées de Tahar Haddad et pour ce faire elle choisit de faire vivre deux familles l'une plus progressiste que l'autre, l'autre plus conservatrice.  Deux histoires familiales qui se croisent et se décroisent puisqu'un mariage, celui de Mhsen et de Zbeida les a réunies. On va ainsi suivre les familles Naifer et Rassaa  sur 4 générations, soit une bonne vingtaine de personnes (sans oublier les domestiques), qui vont, tour à tour et à des époques différentes, prendre la parole pour raconter leur version des faits dont ils ont été témoins, des propos qu'ils ont entendus et interprétés. Croiser les témoignages, n'est-il pas le B.A. BA de toute enquête policière qui tend à l'objectivité. C'est en tout cas la méthode qu'emploie Amira Ghenim et l'on ne peut qu'admirer sa  virtuosité à entrelacer les voix de ses personnages et à maintenir en alerte la curiosité du lecteur. Cela fait bien longtemps que je n'ai pas lu un roman aussi complexe et au final aussi passionnant. 

12 juin 2025

Jeunes mères

 Avec les frères Dardenne, ce n'est plus tout à fait du cinéma mais plutôt de l'action sociale. Ou pour le dire plus gentiment une tentative d'éveiller les consciences sur des problèmes sociaux avec les moyens que leur donne leur réputation. Ce qu'ils font depuis le début de leur carrière cinématographique et ils le font très bien. Mais voilà, ce dernier film consacré aux jeunes mères recueillies dans un foyer le temps de leur grossesse, ressemble un peu trop à un inventaire des raisons qui expliquent que ces adolescentes se retrouvent devant le choix d'avorter ou de garder le bébé, de s'en occuper en dépit des difficultés ou de le confier à d'autres pour lui donner les chances qu'elles mêmes n'ont pas eu pour cause de foyer dysfonctionnel. Alors tout y passe, l'alcool, la drogue, la violence, la lâcheté masculine.... 

Le film est irréprochable, crédible, avec comme d'habitude une direction d'acteurs remarquables. Mais parfois, on trouve que le monde est trop lourd à porter, même au cinéma.



03 juin 2025

Tu ne mentiras point

Le film est vraiment très noir, et pas seulement parce que le personnage principal est un charbonnier ! L'histoire est relativement connue désormais puisqu'il s'agit du traitement que l'Eglise irlandaise a réservé aux "filles-mères" jusqu'en 1998 !  D'où le choix d'images presque toujours sombres, avec un éclairage limité pour des scènes nocturnes, souvent pluvieuses ou brumeuses. "Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle ..." L'adéquation entre les images et le récit est totale. 

En mettant au centre du film un homme, désormais père de famille aimant et attentif aux siens - alors qu'il est lui-mème né hors mariage, mais a été recueilli par une famille charitable, ce qui fait toute la différence -  le réalisateur, Tim Mielants, semble suggérer que d'autres choix sont possibles, que la conscience morale individuelle permet d'échapper à la chappe de plomb imposée par la religion. Car le film reste avant tout une attaque en règle contre l'Eglise catholique et ses suppôts, dont la supérieure du couvent est une parfaite représentante. Mais il montre aussi une société soumise, prête à baisser la tête et à laisser faire. Je ne vois rien, je n'entends rien, je ne dis rien ! 

Le film est certes très lent. Mais montrer l'éveil d'une conscience, montrer comme il est difficile de désobéir, de s'opposer à la loi ou du moins à des règles jugées iniques, de mettre ainsi en péril sa famille et sa place dans la société, ne pourrait en aucun cas s'accommoder des agitations d'un film d'action. Non, Tu ne mentiras point est un film lent et sombre et c'est très bien comme cela.


 


29 mai 2025

Art up : en passant par la foire...

 
Abstrait ou figuratif ...
 
 
... la couleur, le mouvement, les techniques ...


la représentation, l'expression


Dans l'art, comme dans les foires il y a un peu de tout.

 

28 mai 2025

Raphaël Quenard, Clamser à Tataouine

 Il écrit comme il parle. Phrases courtes, vocabulaire recherché, parfois savant, parfois juste vulgaire. Prétentieux, rigolard, provocateur... Raphaël Quenard est tout cela et somme toute insaisissable. 

Clamser à Tataouine est un roman enlevé, sur une trame simple : quelque chose comme les confessions d'un psychopathe, tueur en séries - de femmes  exclusivement - selon un schéma préétabli. Ce qui permet à l'auteur, de glisser ici et là, quelques éléments (vrais ou inventés) de sa vie personnelle. 

On le lit parce qu'on aime bien l'acteur, parce qu'on en parle dans les médias. De là à en faire une grande oeuvre littéraire ? Une pochade tout au plus, qui s'appuie sur la fascination de notre société pour les histoires criminelles. 




27 mai 2025

Little Jaffna

 Coloré, mouvementé, agité, en gros plans et caméra à l'épaule : le début du film embarque le spectateur dans un tourbillon effréné et le suite est à peine plus tranquille. Gangs farouchement opposés, activistes et militants, tout s'embrouille facilement pour le spectateur qui n'a pas, dès le départ, repéré le flic infiltré chargé de mettre au clair la situation. Il s'agit de rackets auprès des commerçants, mais entre rackets frauduleux et rackets pour une cause politique (celle des rebelles du Sri Lanka), la différence n'est pas évidente et l'on craint bien sûr pour la peau du flic, coincé entre les affrontements violents.  En tout cas, aucun risque d'ennui en allant voir le film de Lawrence Valin, à moins de relâcher son attention et de perdre le fil de l'intrigue. Le plus étonnant peut-être est que cette histoire se passe à Paris ! Un Paris très exotique pour le coup.




26 mai 2025

Partir un jour

Le film d'Amélie Bonnin, Partir un jour, est un film réjouissant. Une comédie douce-amère, dont on apprécie la justesse des dialogues, l'excellence du casting, la rigueur de la mise en scène, la souplesse des mouvements de caméra et ... le choix des chansons car oui, sans être une comédie musicale à proprement parler, le film est ponctué de chansons. Bref un film dont on n'a envie de dire que du bien, même si le jeu sur le mal-être des "transfuges de classe" n'est pas loin de devenir la tarte à la crème de la littérature et de la sociologie.

Mais ce que je préfère retenir dans le film d'Amélie Bonnin, c'est le moment de bascule d'une vie, le petit détail, chance ou malchance, qui dévie une trajectoire, sans retour en arrière possible. Ne reste que la nostalgie de ce qui aurait pu  arriver... mais n'est pas arrivé

25 mai 2025

James Lee Burke, New Iberia blues

Comme une envie de revenir au polar bien noir autant qu'au bout du bout du Mississipi, entre le bassin d'Atchafalaya et le bayou Teche, en plein territoire cajun.  Celui de Dave Robicheaux et de son ami Clete Purcel, semblables à eux même depuis le premier roman de James Lee Burke. 


Avec New Iberia Blues, le lecteur de Burke est en territoire connu :  on sait que Dave est un inspecteur de police, tendance dépressive, vétéran du Vietnam et ancien alcoolique. On connaît sa maison au bord du bayou, sa fille, ses chats. On connaît ses habitudes, sa façon de faire, plus intuitive que rationnelle, sa violence latente. Comme on connaît son penchant à la contemplation d'un territoire en train de disparaître sous la poussée de la modernité. L'enquête dont il est chargé flirte avec le milieu du cinéma : un homme revient sur les lieux de son enfance après avoir fait fortune à Hollywood.  Il y a un nombre conséquent de meurtres et de scènes de violences, particulièrement morbides et minutieusement décrites comme il se doit dans tout polar; mais il y a aussi des des scènes méditatives et des  descriptions de paysages à vous donner envie de prendre immédiatement un avion pour la Louisiane. C'est à ce mélange de douceur et de brutalité que l'on reconnaît le savoir faire de James Lee Burke. Le premier roman surprend, mais si on accroche, on les lit tous les uns après les autres.

15 mai 2025

Dand O'Brien, Adieu Dakota

Depuis Les Bisons de Broken Heart, je ne cesse d'attendre les nouveaux livres de Dan O'Brien, certaine d'y retrouver à chaque fois le même univers. Celui d'un rancher du Sud Dakota, qui a consacré sa vie à l'élevage de bisons, et, plus encore à la restauration de la Prairie, sachant que l'un ne va pas sans l'autre. Ecologiste dans l'âme, profondément humaniste, c'est, entre autres, à travers ses livres que Dan O'Biren partage ses convictions. Parfois sous forme de récit, parfois sous forme de roman comme c'est le cas dans Adieu Dakota

Que ma lecture du roman soit un peu biaisée, j'en conviens parce que je prends toujours plaisir à retrouver l'évocation de lieux que j'ai moi-même parcourus. Mais il y a d'autres entrées pour apprécier ce roman qui se présente en fait comme un récit familial. En effet Jason, le personnage principal, revient auprès des siens dont il s'était éloigné : sa mère est en fin de vie et ces retrouvailles sont l'occasion pour lui de revenir sur les événements du passé et ce qui l'a poussé à partir. La confrontation entre le passé et le présent est certes personnelle, mais elle permet à l'auteur de montrer les changements intervenus dans cet Etat rural de l'Amérique depuis que les réserves de gaz de schiste ont commencé d'y être exploitées de façon intensive ce qui n'est pas sans modifier et l'économie et le mode de vie des habitants de la région. 

Dans un monde qui ne cesse d'évoluer et dont les changements paraissent irréversibles, il appartient à chacun de faire ses choix.  Accepter ? S'habituer ? Partir ? Continuer ? S'adapter ? Renoncer ? Résister ? Adieu Dakota est bien un roman, pas un essai philosophique. Et pourtant ...


James Mc Bride, L'Epicerie du Paradis sur Terre

Ce serait vraiment dommage de passer à côté d'un écrivain comme James Mc Bride et de son dernier livre, L'Epicerie du paradis sur terre, parce que James Mc Bride manipule comme personne la matière romanesque : en l'occurrence un lieu, Chicken Hill en Pennsylvanie (état hautement symbolique puisque c'est à Philadelphie qu'a été signée la constitution américaine), une époque, les années 30, années de grande misère en particulier pour les populations noires (sorties de l'esclavage mais pas de la ségrégation) et les juifs fraîchement immigrés, attachées à leurs traditions européennes et pas tout à fait américains encore. Pour faire le lien entre ces deux groupes sociaux, il y a Moshe qui a fait fortune en organisant des concerts, et surtout sa femme, Chona, qui, malgré leur récent enrichissement s'obstine à tenir l'épicerie de leurs débuts parce que cela lui permet de venir en aide à beaucoup de gens. 

Le roman s'ouvre sur la découverte d'ossements au fond d'un puits, mais avant d'en connaître les raisons, il faut remonter le temps et faire revivre tout un monde depuis disparu. Parce que, en dehors du pourquoi et comment et la résolution de l'énigme policière  - que le lecteur finit presque par oublier -  ce qui intéresse Mc Bride c'est de montrer une foule de personnages, tous représentatifs d'une certaine Amérique et de divertir le lecteur qui ne boude pas son plaisir. L'écrivain sait comme personne créer des personnages, un peu fantasques mais parfaitement crédibles, des situations désopilantes et pourtant plausibles. Il brode, il invente, il imagine, il s'enflamme, mais la réalité n'est jamais loin parce que ce qui le pousse à écrire c'est son humanisme, qui a sans doute beaucoup à voir avec sa propre identité. 

"L'écriture de James McBride se construit au croisement des racines polonaises, afro-américaines, juives et chrétiennes de l'auteur, dont l'œuvre touche ainsi à l'universel. Ses ouvrages ne cessent d'explorer les fondations d'une Amérique qui n'a pas fini d'évoluer." Gallmeister

Lire L'Epicerie du Paradis sur terre  c'est se donner la chance de retrouver non pas une Amérique idéale qui n'a jamais existé, mais une Amérique moins déroutante, moins effrayante que celle d'aujourd'hui.

 



Les Bergers


 Mais non, contrairement aux apparences, la vie de berger n'est pas de tout repos. C'est une vie rude et  semée d'embûches (les patrons d'abord, pas très conciliants, c'est le moins qu'on puisse dire, la météo  parfois redoutable et bien sûr les loups ! ) Tout cela on l'apprend par le biais dans un film qui sous prétexte d'un documentaire, joue plutôt la carte de la comédie légère ... à moins que ce ne soit le contraire ; parce que le film raconte aussi l'histoire d'une rencontre entre Mathias, un Quebécois, venu en France pour changer de vie et devenir berger alors qu'il ne connaît rien au métier, et une jeune fonctionnaire de pôle emploi, Elise, qui lâche tout pour le suivre. 

En jouant sur les deux tableaux, docu et comédie sentimentale, Sophie Deraspe, réussit un film plutôt malin pour le plus grand plaisir du spectateur.

07 mai 2025

Deux soeurs

 J'attendais mieux du film de Mike Leigh qui, de façon un peu caricaturale quand même, fait le portrait de deux soeurs aux personnalités radicalement opposées. Mais Chantal, une femme rayonnante, positive, chaleureuse, drôle n'est là que pour mettre en valeur le comportement insupportable de  Pansy, une personne toxique s'il en est : négative, colérique, agressive, dépressive, etc... qui détruit littéralement sa famille et son entourage. Son comportement a peut-être une explication, mais le réalisateur ne nous la donne pas. Il semble surtout avoir donné carte blanche à son actrice, Marianne Jean-Baptiste qui en fait des tonnes. Trop.




05 mai 2025

Olivier Rolin, Vers les îles éparses


 

Pourquoi cet écrivain me fascine-t-il autant ? Je ne sais pas vraiment... Peut-être parce que ses livres sont presque toujours des objets improbables, rarement de vrais romans, souvent des récits personnels, entre récit de voyage et récit intime. Il parle de lui, de ce qu'il voit, des gens qu'il rencontre et qu'il écoute. Il parle des écrivains qu'il aime, Cendrars en tête. Un peu baroudeur, un peu érudit. Souvent râleur, rarement enthousiaste... Il écrit comme il est, libre avant tout. Et ce petit livre, récemment publié aux éditions Verdier ne se démarque pas des précédents.

L'écrivain a eu l'opportunité d'embarquer sur le Champlain, un bâtiment de la marine nationale chargé entre autres de ravitailler les bases militaires ou scientifiques des Îles Eparses, au large de Madagascar. Voyage immobile, puisque ce sont les paysages qui se déplacent et qu' Olivier Rolin n'a, au sens propre rien à faire qu'à regarder, contempler, admirer ... Paysages marins, paysages insulaires, ciel et mer toujours changeants, alors qu'à bord la routine l'emporte.  Olivier Rolin observe, questionne, écoute, comme le ferait un journaliste, et puis se retire dans sa cabine, pour lire, encore et encore. 

Pour avoir un jour traversé l'Atlantique sur un cargo, je n'ai pas eu trop de peine à me glisser entre les lignes, mêlant mes propres souvenirs aux observations de l'écrivain. Ma vie était devant moi, la sienne est derrière lui, mais l'expérience n'est pas si différente.

29 avril 2025

Ehsan Norouzi, Transpotter

 

A chacun sa manie. Ehsan Norouzi fait partie de ces fous du rail qui depuis l'enfance ne rêvent que d'une chose, conduire une locomotive et tout savoir sur les trains. Trainspotter n'est donc pas un récit de voyage comme on pouvait s'y attendre, mais plutôt un documentaire très complet sur l'histoire du réseau ferroviaire iranien. L'auteur a obtenu l'autorisation qui lui ouvre toutes les portes de toutes les gares et de tous les trains avec la possibilité d'interroger tous ceux qui ont contribué et contribuent encore à faire fonctionner le réseau. Sous sa plume, l'histoire de la Transiranienne, qui permet d'aller de la mer caspienne au golfe persique et de la Turquie à l'Afghanistan devient un récit héroïque bourré d'informations techniques, de rappels historiques et d'anecdotes drôles, émouvantes ou édifiantes. Quelques cartes précisent les noms de lieux et permettent au lecteur d'imaginer le trajet des différentes lignes. 

Transpotter n'est pas un roman, pas vraiment un récit de voyage, mais, pour peu qu'on s'intéresse à l'Iran, le livre se lit avec beaucoup d'intérêt. Sans en avoir l'air, il rappelle que l'Iran n'a pas toujours été sous la coupe des mollah et qu'il a compté un temps parmi les nations progressistes.

25 avril 2025

Comment devenir riche (grâce à sa grand-mère)

Du cinéma thaïlandais je ne connaissais jusqu'à présent qu'Apichatpong Weerasethakul; j'ajouterai désormais un autre nom, plus facile à retenir : Pat Boonnitipat qui vient de réaliser un film au titre plus subtil que son titre : Comment devenir riche (grâce à sa grand-mère). 

Le titre en effet peut laisser croire à une farce du genre "on va plumer la vieille", et le début du film part un peu de ce côté plutôt sordide. Mais la réussite du film tient à l'ambiguïté des personnages et des situations. A commencer par la grand-mère, autoritaire et plus têtue qu'une mûle. Sa fille et ses deux fils sont bien trop contents de se défausser sur le petit-fils pour s'occuper de la vieille dame.  C'est donc M, car tel est son nom qui vient s'installer dans la maison de sa grand-mère pour ... s'occuper d'elle ?  ou pour récupérer la maison ? De quel côté basculera le film, vers le matérialisme le plus cynique ou vers la tendresse et la morale ? Le réalisateur se joue des hésitations du spectateur qui bascule constamment d'un côté à l'autre.

Le rôle de M, est tenu par un acteur dont le jeu m'a paru remarquable, tout en finesse, tout en ambiguïté justement. Son nom : Putthipong Assaratanakul. Oui, pas facile à mémoriser !




24 avril 2025

Le joueur de go

Le film de Kazuya Shiraishi, un film de sabre japonais, un film de samouraïs ? Pas vraiment, parce que si Yanagida, le personnage principal est bien un ancien samouraï, il vit désormais une vie plutôt plan-plan. Austère et taciturne, il excelle au jeu de go... ce qui va, contre son gré l'entraîner dans une intrigue à peu près aussi compliquée que les règles du go ! Fausses accusations, soupçons, tromperies, défis... on n'est pas loin de la prise de tête. Alors je me me suis contentée de me perdre dans la restitution très soignée d'un Japon ancien aussi conventionnel que les estampes des maîtres japonais. 

Mais il faut bien reconnaître que costumes et décors, aussi soignés soient-ils, ne suffisent pas à faire un film, que les parties de go ralentissent le rythme et que l'on ne doute pas un seul instant de la capacité du joueur de go à déjouer tous les pièges et, surtout, surtout,  à préserver son honneur ! 


23 avril 2025

Antoine Choplin, La Barque de Masao

Voilà un livre qui se lit rapidement, et qui s'oublie presque aussi vite sans doute. Son principal intérêt à mes yeux est qu'il se passe au Japon et plus précisément dans les îles de la mer intérieure du Japon : Naoshima,  Teshima, Ogijima ... autant de lieux devenus passages obligés pour les amateurs d'art contemporain et d'architecture.

Mais à lire le roman d'Antoine Choplin, on se demande si les retrouvailles entre le père ouvrier et la fille architecte est le véritable sujet du roman, ou juste un prétexte pour parler des musées et des oeuvres, il est vrai tout à fait exceptionnelles, qui ont fait la fortune de ces îles-musées.

La Barque de Masao un livre agréable à lire ... avant un voyage au Japon ? Au retour d'un voyage au Japon ?  A la place d'un voyage au Japon ?  C'est à chacun  d'en décider... Mais si ni le Japon, ni l'architecture, ni l'art contemporain ne vous intéressent, vous pouvez laisser le livre sur les étagères de la bibliothèque. 






22 avril 2025

Dimanches

Hasard des programmations cinématographiques, mais coup sur coup, deux films passéistes, c'est un peu trop pour moi. 

J'accorde à Vermiglio, le bénéfice du doute parce que le portrait qu'il fait de la conditions des femmes permet en réalité de mesurer tout ce que nous avons gagné en force et en indépendance depuis l'après-guerre.  Mais Dimanches est un film délibérément passéiste ou plutôt une charge - assez drôle parfois et même émouvante - contre le progrès lorsqu'il est imposé. En toute bienveillance, mais imposé. 

Dimanches est un film ouzbek, une rareté suffisante pour s'y intéresser. Shokir Kholikov, dont c'est le premier long métrage, met en scène un vieux couple de paysans qui vivent comme ils ont toujours vécu et comme avant eux ont vécu leurs parents etc... Leur fils - ils sont apparemment deux, mais leurs apparitions sont si brèves qu'on ne les identifie pas vraiment, et cette absence de personnalisation fait partie du jeu - leurs fils donc remplacent régulièrement le matériel obsolète de leurs parents par du matériel plus performant : une gazinière supposée s'allumer sans allumettes, une télé à écran plat, un smartphone, un réfrigérateur qui ne fait pas de bruit etc... Le problème, et bien des spectateurs en conviendront, c'est que les nouvelles technologies sont parfois difficiles à maîtriser, surtout sans mode d'emploi ! Le vieux père - bougon et autoritaire - a de toute façon renoncé et compte sur sa femme, plus alerte et plus conciliante pour s'en sortir. Toujours est-il que la soit-disant bienveillance des fils perturbe de plus en plus le vieux couple, et finit par les mettre en danger. 

J'avoue ne pas avoir suivi la piste qui suggère que les fils cherchent moins à aider leurs parents qu'à récupérer à leur profit leur propriété. Mais les désarrois du couple devant les progrès techniques m'ont paru bien observés et posent la même question qui faisaient déjà se quereller Voltaire et Rousseau : les progrès des sciences et des techniques contribuent-ils au mieux-être de l'humanité ? Dimanches est  certes un voyage dans l'Ouzbekistan rural, mais il n'est pas besoin de grande réflexion pour pointer les similitudes avec notre propre société. 

Le film est un peu lent - vieillesse oblige ? - mais visuellement intéressant. Et les "acteurs" ... dont c'est la première apparition à l'écran, confondants de naturel. Finalement, pour un film passéiste et après réflexion, pas mal du tout !




21 avril 2025

Vermiglio ou la mariée des montagnes

La vie rude des habitants d'un petit village perdu des montagnes du Trentin pendant la deuxième guerre mondiale. Pour un peu, le film de Maura Delpero passerait pour un documentaire, faisant l'éloge (?) de l'austérité et d'un société fondée sur la religion, la famille et, quand même, l'instruction puisque le père de famille est instituteur.

La beauté des images est certes un atout pour qui aime la montagne, mais ne suffirait pas à sortir le film de son aspect documentaire si la réalisatrice, n'avait construit une histoire autour d'un déserteur recueilli par les habitants dont la fille de l'instituteur tombe amoureuse. Mariage. Grossesse. Fin de la guerre ... Le jeune marié doit partir pour régulariser sa situation, l'absence se prolonge... Et nous voilà dans le mélo. Ou la tragédie. Ce n'est certainement pas un mauvais film, mais j'ai peiné à m'intéresser aux personnages, sans doute un peu trop schématiques.



19 avril 2025

Au pays de nos frères

 2001, 2011, 2021. Voilà trente ans que cela dure. Trente ans que des Afghans ont dû quitter leur pays et se réfugier en Iran. Trois décennies, mais rien ne change. Le dispositif utilisé par les cinéastes, Raha Alirfazli et Alireza Ghazemi est aussi simple qu'efficace : un triptyque  chronologique qui permet de montrer la difficulté de vivre sous la menace permanente d'une expulsion, porte ouverte à tous les abus. A chaque décennie, des personnages différents, des situations différentes, mais toujours la même dépendance, la même nécessité de se soumettre, de se taire pour ne pas risquer l'expulsion. 


Le film est poignant, mais ne sombre pas pour autant dans le pathos. C'est un constat.   Réaliste. Véridique.  Juste. Au spectateur de poursuivre la réflexion. Mais une fois encore je m'interroge. Quel est l'efficacité d'un film que ne vont voir que ceux qui sont déjà convaincus que le monde ne tourne pas si bien que cela ?

Les aborigènes du Clos des Capucins et ceux de la place Victor Hugo

Il pleut, il mouille. L'occasion de faire un petit tour dans les galeries et les musées. Et si la culture aborigène vous a toujours intrigués, c'est le moment d'aller jusqu'aux Clos des Capucins où sont exposés des tableaux aborigènes australiens. L'exposition est mise en place par la galerie Vent des cimes, qui dans ses propres locaux, place Victor Hugo expose actuellement des peintures aborigènes indiennes. 

 A chacun de choisir s'il préfère la minutie quasi monochrome des peintres Warli ....


ou la puissance colorée - et pour nous abstraite - des peintres australiens.

 https://galerie-ventdescimes.com/art-aborigene-catalogues-des-oeuvres/

 

 


José Antônio da Silva

Petite pause cinéma, le temps de passer voir la nouvelle exposition proposée par le Musée de Grenoble. Une exposition relativement petite - tant mieux !  - mais une belle découverte : celle d'un peintre brésilien, plus connu dans son pays qu'en France et c'est une chance d'avoir pour la première fois en Europe une exposition qui lui soit entièrement consacrée.


 Jose Antonio da Silva  est un peintre brésilien. Ce qui n'explique pas grand chose. en revanche, ce qui le définit, me semble-t-il, c'est avant tout la couleur ou plutôt les couleurs : fortes, vibrantes, du rouge, du vert, du bleu, du jaune. 


Son trait est figuratif, naïf, mais surtout vigoureux. Des qualités esthétiques indéniables, auxquelles s'ajoute un engagement social qu'il a porté au coeur de son oeuvre. Car ce qu'il peint c'est la vie de tous les jours des paysans du Sertao, les travaux des champs, les villages, les fêtes ... 

Les couleurs alors se font plus discrètes, plus sobres, une façon d'accorder plus d'importance aux détails de la vie villageoise : quelques cahutes au bord de la forêt, une luxuriance sylvestre rendue par la prolifération des verts.

  

Certains tableaux vus de loin,  frôlent le surréalisme. Mais de loin seulement, parce que, de près, ce sont les nuées d'insectes qui justifient la présence de cet épouvantail dont on imagine sans peine les rotations.  Vaines probablement ! Une scène agricole banale ... magnifiée par le cadrage et les couleurs

 

Les tableaux exposés au musée de Grenoble laissent entrevoir la liberté du peintre, qui, dans ces choix artistiques, semble ne se soucier que des chemins où le mène sa fantaisie. Le voilà soudain qui s'essaye à la nature morte, genre consacré s'il en est, mais à la façon des pointillistes.

 

Du bleu et du blanc. Des points, des taches. Le résultat est saisissant et le champ de coton surgit sous nos yeux avec un bel effet de perspective.

 

Et puis il y a encore dans les tableaux de Jose Antônio da Silva, cette tentative pour rendre le mouvement. Celui du vent qui emporte le parapluie et fait tourbillonner le linge dans lequel une femme enveloppe son enfant. 

 Ou celui de la pluie quand elle tombe si drue qu'elle brouille la vue et mélange les couleurs. 


José Antônio da Silva est un peintre qui nous ferait presque aimer la pluie !