Plus de 800 pages, et ce n'est que le premier volume ! Car, non, Barak Obama ne maîtrise pas encore l'art de la concision, comme il le reconnaît volontiers lui-même. Mais l'avantage, c'est que le lecteur, qui n'a pas nécessairement suivi très attentivement tous les méandres de la politique intérieure américaine, ou de la politique mondiale, n'a pas de difficulté à suivre les explications du Président tant son écriture est claire et fluide. Comme il maîtrise en outre l'art du "page turner" qui consiste à suspendre chaque chapitre à un moment capital du récit, on glisse d'un chapitre à l'autre sans même s'en apercevoir. Et si, par moment la narration devient un peu trop terre à terre, ou technique, une anecdote empruntée au domaine privée, un trait d'humour entre collaborateurs enlève ce que la restitution des faits pouvait avoir de fastidieux.
Barak Obama a incontestablement la plume non seulement facile mais élégante. Il a, de surcroit, été bien accompagné par les professionnels du livre, traducteurs compris, auxquels il rend hommage à la fin de son livre. Et La Terre promise, malgré ses 800 pages, - et son titre un peu trop biblique à mon goût - se lit comme un véritable roman.
Pas de vrai suspense puisque le déroulé de l'histoire est déjà connu. En gros. Et Obama alterne intelligemment affaires de politique intérieure et affaires de politique internationales. Mais avant même qu'il ne touche à la politique internationale, on voit clairement les répercussions des crises états-uniennes ((la crise des subprimes, le sauvetage de l'industrie automobile,
l'explosion de la plateforme pétrolière au large de la Louisiane)) sur l'ensemble du monde.
Persuadé de sa supériorité intellectuelle, Obama, pas plus d'ailleurs que les présidents qui l'on précédé, ne rechigne à donner son point de vue, à conseiller, voire à intervenir dans la gouvernance de l'Europe, de l'Asie ou de l'Afrique. Certes, il ne dissimule pas ses doutes, ses inquiétudes, prend soin d'écouter ses conseillers, de créer des commissions. Mais à la fin c'est à lui qu'incombe la décision finale. Y compris celle d'envoyer plus de troupes en Afghanistan alors même qu'il vient de recevoir le prix Nobel ou d'ordonner l'attaque qui permettra éliminer Ben Laden.
Les "mémoires" constituent un genre littéraire particulier puisqu'il s'agit toujours de donner sa propre version des faits et non pas celle des opposants, alors qu'un historien s'efforcerait de rendre compte objectivement de toutes les forces en présence. Il s'agit aussi de faire, à travers le récit des faits, son propre portrait et il est évident que chaque mémorialiste cherche à se présenter sous son meilleur jour. Il ne faut donc pas chercher dans ce récit une vérité objective, et d'ailleurs, ce qui m'a le plus intéressée, c'est de pénétrer dans les coulisses du pouvoir et de constater comment il opère. Quels sont les paramètres pris en compte, quels sont les ressorts, y compris psychologiques, les influences qui permettent à un individu de prendre des décisions dont les conséquences engagent le sort de tant d'individus.
Malgré l'énergie, le courage et l'intelligence d'Obama, son idéalisme politique ne fait pas long feu devant les attaques de ses adversaires et du projet au résultat, le chemin est souvent tortueux, fait de compromis, de subtiles manoeuvres de contournement, de petits renoncements, et de grandes déceptions.
Le présent se lit mieux à la lumière du passé, et l'on comprend assez vite que les vilains d'aujourd'hui, étaient déjà à la manoeuvre en 2008 et que l'arrivée au pouvoir d'un "homme, jeune, noir, avec un nom vaguement arabe " était pour beaucoup d'Américains tout simplement insupportable. Voilà pourquoi, les Républicains, après avoir, pendant 8 ans, fait tout ce qui était possible pour empêcher Obama d'arriver à ses fins, se sont acharnés, pendant les 4 ans qui viennent de s'écouler, à détruire tout ce qu'il était parvenu à faire.
La terre promise est une terre que l'on désire, sans jamais y accéder. Et le premier volume des mémoires de Barak Obama est, en même temps qu'un passionnant rappel historique, une extraordinaire leçon de réalisme politique. Sa lecture est agréable mais la leçon est amère.